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Question de société. Jean Viard : " Il faut tenir encore deux ou trois mois, c'est pas le moment de commencer à tout casser, même si c'est très difficile"

La colère s'amplifie dans les milieux culturels. Une vingtaine de théâtres en France sont occupés par des professionnels du secteur. Il y a-t-il un risque d'extension de ce mouvement de révolte ? Décryptage avec le sociologue Jean Viard. 

Article rédigé par franceinfo, Edouard Marguier
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5 min
La centaine d'invités de la 46e edition de la cérémonie des César à l'Olympia le 12 mars 2021.  (BERTRAND GUAY / AFP)

La colère gronde dans le milieu de la culture. Des manifestants occupent des théâtres dans une vingtaine de villes. Usés par la crise sanitaire qui impose la fermeture de théâtres, opéras, conservatoires, salles de concerts, salles de disciplines artistiques et sportives, lieux de culture en tous genres fermés depuis des mois. Pour le dénoncer d'ailleurs, l'actrice Corinne Masiero s'est mise toute nue pendant la cérémonie des Césars, vendredi 12 mars, sur Canal + en clair. Les mots "No culture, No future", inscrits sur le ventre.

franceinfo : Jean Viard, pourquoi ce mouvement éclate-t-il maintenant ? Par manque de perspective ? 

Si vous voulez, on est tous complètement usés. On en a ras le bol. Faut bien dire les choses comme elles sont. Regardez le nombre de dépressifs. La société est à bout de nerfs. Et en plus, en ce moment, quand le vaccin est arrivé, ça nous a ouvert une fenêtre. En ce moment, ça patauge. Peut-être que d'ici deux ou trois mois, ça ira mieux, mais ce n'est pas sûr. Tel vaccin, on vous dit oui, celui-là, il est moins bon, etc. En gros, on n'a pas vraiment de perspectives. Qu'il y ait des mouvements comme ça, c'est compréhensible.

Après moi, je vais être honnête, la soirée des Césars, je n'ai pas aimé. Autant je comprends que le monde de la culture exprime sa souffrance, qu'effectivement, ils sont privés du cinéma avec le public. Mais mon copain qui tient un bar, il est privé aussi, je veux dire c'est aussi respectable, celui qui tient un restaurant. Donc il faut faire très attention. On voyait ce lieu extrêmement luxueux où se tenait ce spectacle, excusez-moi, ça n'incarne pas la souffrance sociale, alors que le monde de la culture, le monde du spectacle vivant en réalité - parce que la lecture marche très bien, la culture à la maison se développe, les pratiques amateurs, on a vendu 20% de guitares en plus - mais le spectacle vivant est en grande souffrance. Je le comprends très bien, mais il devrait porter la souffrance des autres, parce qu'il a un pouvoir médiatique que n'ont pas les restaurateurs, les barmen etc.

Je crois qu'il faut faire très attention. On peut aller tous s'affronter les uns vis-à-vis des autres. Il y en a qui vous disent : il faut enfermer les vieux, etc. Y a un jeune auteur qui vient de sortir un livre, on en parle partout. À un moment, on voulait faire partir les immigrés. Je veux dire, on est dans une fin de conflit extrêmement difficile et disons-nous une chose : pourquoi on ne reconfine pas ? Pourquoi on accepte 300 morts par jour ? On accepte 300 morts par jour parce qu'on a peur des réactions de la société, et il y a un an, on n'aurait pas fait ce choix, on aurait dit non, 300 morts par jour, c'est pas possible.

Donc, les gens, ces gens, il me semble, regardent un peu leurs propres problèmes. Ce n'est pas le gouvernement qui a inventé le Covid, c'est pas lui qui tue 300 personnes par jour. Donc, il me semble qu'il faut un peu de respect pour ceux qui meurent, un peu de respect pour les médecins, et avoir un équilibre social un peu plus solide. 

Alors, est-ce que, selon vous, cette colère qui s'exprime dans le monde de la culture, est-ce qu'elle peut s'étendre à toute la société ? 

C'est toute la question. Honnêtement, je ne le pense pas, parce que je pense que la plupart des gens, d'abord, ils ont très peur de la maladie. En plus, maintenant, cinq millions de gens sont déjà vaccinés. Donc je dirais la part de gens vaccinés, l'arrivée certainement d'un pass pour circuler, etc., cela va sans doute modifier les choses dans les deux ou trois mois, mais je reconnais qu'on est un peu à la limite.

Il y a une chose qu'il ne faut jamais oublier, c'est que le revenu des Français de l'année dernière a augmenté de 3%. Donc, la société ne s'est pas massivement appauvrie au niveau des individus. C'est l'Etat qui a payé, pour ce qui concerne ce qu'on a touché. Ce qui est faux pour notamment le travail au noir, bien sûr, les pourboires et tout ça. Donc, il y a une partie de la société qui est en grande pauvreté, mais une petite partie. Donc il faut dire ça et je crois qu'il faut plutôt appeler les gens à dire : attendez, il y a encore 2 ou 3 mois à tenir. C'est pas le moment de commencer à tout casser, même si c'est très difficile. Le printemps va arriver.

Donc, honnêtement, le monde de la culture, j'entends très bien leur souffrance, mais j'espère qu'ils ne vont pas prendre la pointe d'un combat contre les règles, qu'on va pas dire : bon, mais finalement, on va accepter 500 morts par jour pour que la société soit plus calme...

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