De Brigitte Bardot aux influenceurs : "On a toujours eu besoin d'images, c'est une façon de se galvaniser, de s'identifier, de se mobiliser pour des valeurs", selon Jean Viard
C'est le 90e anniversaire aujourd'hui de Brigitte Bardot. ComĂ©dienne et actrice iconique, devenue un mythe dans le monde entier, puis militante engagĂ©e pour la cause animale, franceinfo s'interroge aujourd'hui avec le sociologue Jean Viard, sur l'importance dans notre sociĂ©tĂ© de telles figures, starifiĂ©es, ĂȘtres inaccessibles, devenus presque intouchables dans l'imaginaire collectif.
franceinfo : On se demande aujourd'hui qui sont les nouvelles idoles, comme Bardot a pu l'ĂȘtre dans les annĂ©es 60. D'abord, pourquoi a-t-on besoin d'idoles, de stars, d'icĂŽnes ?
Jean Viard : On a toujours eu des images, que ce soient les statues dans les Ăźles grecques, que ce soit la Vierge, les saints, d'ailleurs, regardez les protestants qui faisaient des images, etc. Pourquoi on a besoin d'images ? Mais au fond, parce que c'est une façon de s'identifier. Quand on est jeune, on se forme, on connaĂźt ses parents, on ouvre son cercle dans le monde, et on s'identifie peut-ĂȘtre Ă une chanteuse, Ă un homme politique, etc. Puis ça change, suivant les Ă©poques. C'est une façon d'affirmer ses valeurs, de les dĂ©couvrir, d'affirmer une esthĂ©tique.
Donc c'est un contact qu'on a avec le monde et qui se construit. Alors Ă©videmment, avant, câĂ©taient des statues de pierre, ça a beaucoup changĂ©. Alors, ce qui est extraordinaire avec Brigitte Bardot, c'est qu'avec Et Dieu... crĂ©a la femme, en 1956, elle lance une vague de libĂ©ration des femmes, parce qu'elle montre que la femme a autant de dĂ©sir que l'homme de faire l'amour, d'avoir des positions, etc. Et elle affirme une libĂ©ration extraordinaire, deux ans avant que de Gaulle reprenne le pouvoir, alors que la CinquiĂšme RĂ©publique, d'un point de vue culturel, n'Ă©tait pas Ă l'avant-garde, 12 ans avant 1968.
AprÚs, on change, parce que le cinéma de l'aprÚs-guerre, ça a été une révolution extraordinaire, le cinéma en couleurs qui bougeait. Donc c'étaient les actrices, les acteurs, les icÎnes. Aujourd'hui, c'est moins vrai, les icÎnes correspondent à notre époque. Il y a certainement les influenceurs, y a une place terrible des sportifs...
Les influenceurs justement, des gens qui peuvent aujourd'hui lancer des modes. Est-ce que les idoles ont eu un impact sur la société plus important que les influenceurs, stars de cinéma, ou sportifs de notre époque ?
Non, je ne pense pas. On a toujours besoin d'images. C'est aussi une façon de se galvaniser, de se mobiliser pour des valeurs. Si vous regardez les personnages qu'on met au Panthéon par exemple ; aprÚs, chaque société est un peu différente : regardez les Américains, leurs grandes icÎnes, ce sont les PÚres fondateurs, ceux qui sont sculptés dans une montagne. Nous, on a des figures comme Louis XIV, Napoléon, de Gaulle, Jeanne d'Arc, qui sont des figures intemporelles.
Et puis on en rajoute suivant les Ă©poques, effectivement, Brigitte Bardot, aujourd'hui les influenceurs, certains grands chanteurs, groupes, prenez les Beatles, ça a eu une influence culturelle absolument immense. Donc c'est aussi une façon de dĂ©fendre des valeurs et puis aussi de faire Ă©voluer la vie. Chacun, au fond, se construit aussi contre la gĂ©nĂ©ration d'avant, votre maman adorait Brigitte Bardot, vous allez peut-ĂȘtre plutĂŽt adorer une influenceuse.
Est-ce que les mĂ©dias de masse finalement, nâont pas Ă la fois dĂ©sacralisĂ© les idoles et permis Ă n'importe qui de devenir connu ?
Si, câest-Ă -dire ce qu'elles ont fait, c'est qu'elles ont multipliĂ© les canaux. Avant. Bernard Pivot, c'Ă©tait Le monsieur qui faisait vendre des livres. Vous passiez chez Pivot, vous pouviez monter Ă un million de livres. Aujourd'hui si vous passez dans une Ă©mission littĂ©raire, vous allez vendre beaucoup moins : 200 ou 300.000, si vraiment c'est un Ă©norme succĂšs.
Ăa marche aussi avec TikTok aujourd'hui ?
Oui, voilĂ , câest-Ă -dire qu'on est une sociĂ©tĂ© beaucoup plus diverse et je trouve ça extrĂȘmement positif. Il y a des gens trĂšs diffĂ©rents, des religions diffĂ©rentes, des gens de la ville, de la campagne, etc. Et cette sociĂ©tĂ© est beaucoup plus diversifiĂ©e, ce qui est une bonne chose. La question, c'est comment elle se sent une sociĂ©tĂ© française nationale, et comment elle se rassemble.
C'est cette diversitĂ© qui fait le charme de tous les pays modernes, mais aprĂšs, de temps en temps, il faut rassembler tout ça dans des grands Ă©vĂ©nements, et nous, on vient de le faire avec les Jeux olympiques ; d'un coup, un grand souffle de rassemblement qui ne va peut-ĂȘtre pas durer 50 ans, mais qui remet toute cette diversitĂ©, Ă un moment, ensemble. Et c'est ce qui s'appelle "faire nation".
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