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Violence : le bac pro en trois ans a tendu la situation dans les LP

Comme chaque année l'Education nationale a rendu publique son enquête sur la violence dans les collèges et les lycées. Bilan relativement stable, sauf dans les lycées professionnels, où l'instauration du bac pro en trois ans semble avoir tendu l'atmosphère...
Article rédigé par Emmanuel Davidenkoff
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Franceinfo (Franceinfo)

Des chiffres publiés assez discrètement il faut le dire,
à l'orée des vacances de Noël, sous le titre Des actes de violence fortement concernés sur une minorité
d'établissements
. Ils confirment pour l'essentiel ce qu'on savait déjà :
" Les incidents graves sont fortement concentrés : 10% des établissements
en signalent 40 %." Ils confirment aussi que le lycée général et
technologique est raisonnablement épargné avec en moyenne 5,6 incidents par an
pour 1.000 élèves, que ça se tend au collège avec 15,3 incidents pour 1000
élèves, mais c'est au lycée professionnel que les statistiques explosent :
24 incidents pour 1.000 élèves. C'est presque deux fois plus qu'en 2008 !

Comment
expliquer cette augmentation conséquente...

Plusieurs facteurs se combinent. Il y a peut-être un
petit effet de seuil dans la mesure où cette enquête, baptisée Sivis, n'est pas
exhaustive. Elle procède par sondage sur des établissements tirés au sort.
Comme il y a moins de lycées professionnels, une petite modification du vivier
peut avoir des effets statistiques plus importants que pour les autres
établissements.

Mais ça
n'explique pas tout...

Non, loin s'en faut. Cette augmentation est en fait
concomitante d'une réforme dont on a beaucoup parlé sur France Info, le passage
au bac pro en trois ans - auparavant il se préparait en quatre ans.

Ça veut dire
qu'on doit boucler le programme plus vite.

Oui. Et cela inquiètait les enseignants depuis le début.
Ils craignaient pour la frange des élèves qui avaient déjà du mal à suivre en
quatre ans, ou bien qui y arrivaient tout juste, au prix d'une attention très
soutenue, très personnalisée. Apparemment ils n'avaient pas tort. On décrit ici
ou là une montée des tensions liées au sentiment d'échec des élèves. Ça peut
aussi se manifester par de l'absentéisme ou bien par du décrochage, tout cela
est lié.

Mais on a
aussi dit que le bac pro en trois ans avait en quelque sorte redoré le blason
du lycée professionnel et qu'il attirait de meilleurs élèves.

Et c'est en partie vrai. Mais ça ne s'oppose pas. Ces
élèves-là ont en effet moins de mal à suivre, et cela augmente l'écart entre
ceux qui y arrivent et ceux qui n'y arrivent pas. On a accru l'hétérogénéité
des niveaux ce qui fait toujours plus de mal aux élèves les plus fragiles. Or
un élève qui a du mal est aussi, bien souvent, un élève qui a mal. Et cette
souffrance scolaire est un des principaux ressorts de la tension dans les
établissements scolaires..

Le ministère
vient de lancer une expérimentation pour donner le dernier mot aux familles
lors de l'orientation en fin de troisième. Il dit que c'est pour éviter les
orientations non choisies, qui sont elles aussi un facteur de tension.

Oui. Mais il faudrait être sur que cette réforme soit
bien comprise par tout le monde et qu'elle n'accroisse pas le nombre d'élèves
en seconde générale. Un certain nombre d'entre eux, quand ils n'avaient
finalement pas le niveau, se retrouvent en effet déjà situation d'échec et ils
sont réorientés en lycée professionnel. Là aussi ça génère des tensions. Ces
élèves arrivent avec un sentiment d'échec et en même temps avec un niveau
généralement meilleur que les autres dans les disciplines générales. Finalement
le lycée professionnel est en train de subir le même choc que le collège unique
en son temps, quand il a fallu accueillir des élèves de niveau très hétérogènes
et réussir à les faire coexister à la fois scolairement et socialement. Ça n'a
pas été évident et aujourd'hui encore le collège a bien du mal à gérer cette
situation - ça se voit d'ailleurs là aussi sur les chiffres de la violence.

On parle là de
filières qui conduisent vers l'emploi... Est-ce que la crise n'a pas également
un effet.

Si. Difficulté accrue dans certains bassins d'emploi de
trouver des stages. Inquiétudes sur la valeur du diplôme, sur sa capacité à
vous mener vers un emploi, il est évident que cela pèse aussi.

De quels types
de violences parle-t-on ?

Très bonne question. On parle de faits considérés comme
graves par les chefs d'établissements : "violences verbales (41 % des
faits), essentiellement à l'encontre des enseignants. Les violences physiques,
généralement entre élèves, représentent 33 % des incidents." Mais quand
vous regardez dans le détail, vous vous rendez compte que certaines violences
son quasiment inexistantes alors que les élèves en parlent beaucoup. C'est
typiquement le cas du racket, qui apparaît dans 2% des cas alors que les études
dites de victimation, celles qui interrogent directement les jeunes, montrent
que ce phénomène est beaucoup plus fréquent. Il en va de même des violences à
caractère sexuel ou des atteintes à la vie privée.

Proportionnellement,
beaucoup plus de violences contre les adultes que contre les élèves.

Oui. En valeur absolue les élèves sont nettement plus
concernés mais pas en valeur relative. Une précaution néanmoins : les violences
contre les enseignants sont systématiquement signalées, ce n'est pas le cas des
violences entre élèves, qui restent par ailleurs nettement majoritaires. Je
cite : " concernant les violences entre élèves, seuls les incidents
présentant un caractère de gravité suffisant au regard des circonstances et des
conséquences de l'acte (motivation à caractère discriminatoire, situation de
harcèlement,...) sont enregistrés". En revanche, je cite de nouveau,
"par l'atteinte grave qu'ils représentent à l'institution scolaire, tous
les incidents impliquant un personnel de l'établissement sont retenus."

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