Cet article date de plus d'onze ans.

Sévère inspection pour les instits

20 % des enfants ne maîtrisent pas les fondamentaux en fin de CM2. Faut-il revoir les programmes du primaire, comme prévu par le ministre, ou bien revoir la formation des enseignants ? La question se pose à la lecture d'un rapport saignant de l'Inspection générale de l'Education nationale...
Article rédigé par Emmanuel Davidenkoff
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
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Ce rapport a été dévoilé en fin de semaine dernière par le site internet
du Monde
sous le titre "École primaire : le rapport qui accuse ". Et
de fait, ça se bouscule sur le banc des accusés...

Premiers cités à comparaître
: les professeurs des écoles. Les inspecteurs en ont interrogé des dizaines et
ils ont visité autant d'écoles, dans toute la France. Leur jugement est sévère.
Il apparaît en fait que la plupart des nouveautés introduites ces dernières
années auraient été au mieux mal comprises, au pire ignorées.

Par exemple ?

La lecture. Pourtant priorité des priorités. Elle occupe bien la
majorité du temps d'enseignement dans les premières année, mais selon le
rapport, "la majorité des maîtres ne dispose pas des cadres théoriques
minimaux, ce qui ne leur permet pas d'être lucides quant à leurs pratiques.
"

En gros chacun bricole dans son coin, pour le meilleur et pour le pire, sans
avoir vraiment métabolisé les tenants et les aboutissants des méthodes
préconisées.

Les a-t-on formés à ces méthodes ?

Non. Et c'est au fond le vrai reproche qui parcourt les 100 pages du
rapport. Défaut de formation initiale depuis 2008, date de sa suppression par
le ministère Darcos, mais aussi défaut plus ancien de formation continue à
destination des enseignants déjà en poste. Résultat : les principales réformes
menées depuis dix ans donnent des résultats modestes.

Exemple avec les
langues vivantes, dont l'enseignement est censé avoir été généralisé. La
réalité est tellement contrastée et, souvent, tellement décevante, que les
inspecteurs se demandent même s'il faut vraiment persister - je cite le rapport
: "cet enseignement a incontestablement une apparence : les programmes,
les horaires affichés, une certaine pratique dans les classes, un
accompagnement didactique, une validation. Cependant, la réalité sur
l'ensemble du territoire est si diverse que l'on peut se poser la question de
savoir si les conditions sont réunies pour parler d'un véritable enseignement
".

Idem de l'instruction morale, qualifiée de "variable d'ajustement
des horaires
" - en clair on en fait quand on a le temps. On pourrait
encore parler de la réalité du "socle commun de connaissances et de
compétences
", colonne vertébrale de la loi de 2005.

En fait ce socle
co-existe avec les programmes sans véritablement se confondre avec. On juge donc
le scolaire au regard des programmes et on tente d'évaluer les cotée ces à
partir du socle. Une chatte n'y retrouverait pas ses petits...

Le numérique, dont on parle beaucoup ?

Marginal. "Au cycle 2, 10 % des maîtres consultés par
questionnaire disent mettre régulièrement leurs élèves en situation
d'écrire avec un clavier (c'est une composante explicite du programme) et 54 %
reconnaissent ne jamais le faire.
" Quant à l'usage de l'ordinateur il
reste extrêmement limité dans la classe, même quand les enseignants s'en
servent pour préparer leurs cours.

Arguments avancés par les maîtres :
"manque de matériel aisément mobilisable, nécessité de travailler en
groupes réduits dès que l'on recourt au numérique et temps à consentir pour
cela
". Le temps, qui revient d'ailleurs comme un leitmotiv dans les
témoignages des enseignants qui ont le sentiment de courir en permanence après
la montre.

Est-ce parce que les programmes sont
trop lourds ?

Le rapport ne tranche pas. Lourds ou légers, les programmes apparaissent
finalement comme une donnée assez fictive. Et cela restera le cas tant que leur
mise en œuvre, notamment en cas de changement, ne fera pas l'objet d'actions de
formation robustes et massives. Ne serait-ce que pour aider certains maîtres a
profiter de ce qui est censé faire la force du primaire, à savoir la
polyvalence des enseignants.

Selon les auteurs du rapport elle demeure assez
théorique. Je cite : "Les professeurs des écoles peinent
incontestablement à exploiter les avantages liés à leur polyvalence:
l'enseignement demeure scindé en champs disciplinaires trop cloisonnés.
L'intérêt de réinvestir ce qui a été appris en français vers les sciences
ou, réciproquement, ce qui a été découvert en sciences dans des activités
liées à la maitrise de la langue est sous-évalué, à moins que cette
pratique ne se heurte à une véritable difficulté pédagogique nécessitant
de véritables actions de formation.
"

Enfin le rapport indique que certains enfants sont littéralement
sacrifiés sans que l'institution ne fasse rien : "Quelques professeurs
des écoles, même s'ils sont très rares parmi ceux qui ont été rencontrés,
n'ont pas eux-mêmes une maîtrise optimale de la langue, surtout à l'écrit,
indiquent les auteurs du rapport. La majorité d'entre eux manquent de
connaissances, ne perçoivent pas la langue comme un système et n'ont pas la
vue d'ensemble qui leur permettrait d'établir une hiérarchisation entre les
notions à étudier, une progression, des relations fructueuses entre
domaines.
"

En pleine querelle sur les rythmes et à
quinze jours d'une grève nationale dans le primaire, la parution de ce rapport
n'est pas très bonne pour l'image des instituteurs...

Non. Mais cela fait maintenant sept ans que le ministère ou l'Etat, sous
diverses formes, critiquent fortement l'école primaire. Si ce qui est écrit
dans le rapport reflète la réalité, on ne peut que relever le formidable
cynisme de l'institution car il est tout de même assez facile de reprocher aux
professeurs des écoles de ne pas savoir faire des choses auxquelles on ne les a
pas formés... Plus que jamais cette question de la formation initiale et
continue des enseignants s'impose donc comme le véritable cœur d'une éventuelle
"refondation" de l'école.

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