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Quand un reporter utilise le "je" pour parler de l’AVC

Utiliser le "je" pour parler de soi est une nouvelle écriture que l’on retrouve dans les podcasts. Bruno Cadène, grand reporter à Radio France, qui s’efface toujours derrière ses sujets, a décidé de parler de lui. Ou plutôt de l’AVC qui l’a frappé en 2017, et c’est à la fois bouleversant et vivifiant. 

Article rédigé par franceinfo - Eric Valmir
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
"Silence radio. 36 mois pour me relever d'un AVC", c'est le titre de la BD de notre confrère Bruno Cadène, publiée en mars dernier aux éditions Delcourt.  (EDITIONS DELCOURT)

La technique narrative du "je" est évidemment assez rare dans la profession reporter, qui cherche à raconter le monde et les autres tout en observant de la distance, et sans se mettre en scène. Bruno Cadène, grand reporter à Radio France, a fait tout le contraire. Lui qui s’efface toujours derrière ses sujets a décidé de parler de lui et de l’AVC qui l’a frappé il y a cinq ans. 

Une chance sur deux de survie selon les statistiques

Le 6 février 2017, Bruno Cadène se sent bien, c’est une bonne journée. Il avance bien sur les préparatifs d’un reportage en Bulgarie et Roumanie. Ancien correspondant de Radio France à Moscou, grand reporter à France Culture puis à la rédaction internationale de Radio France, il est loin de se douter que d’une minute à l’autre, ce soir-là, il va se retrouver cloué au sol, à demi paralysé, victime d’un accident vasculaire cérébral et d’une hémorragie cérébrale, une forme encore plus grave. Les statistiques avancent une chance sur deux de survire dans ces conditions.   

Le médecin chef des sapeurs-pompiers de Paris Stéphane Dubourdieu précise : "C'est une équipe de premiers secours qui vous a pris en charge. Ils sont formés à la détection des signes d'accident vasculaire cérébral. C'est une urgence. On estime que chaque minute perdue, 1,9 million de neurones sont détruits. Donc, vous voyez que plus on gagne du temps, et moins le risque de séquelles est important."

Et tout cela, il le précise au micro de Bruno Cadène, qui a retrouvé le médecin chef pour les besoins de ce très beau reportage diffusé sur France Culture.   

Et des séquelles, Bruno en a. Une partie du corps paralysé, et l’usage de la parole quasi perdue. Mais toute sa tête, sa conscience, sa lucidité, son intelligence, son humour et son mental d’acier sont toujours là. La radio, c’est une des grandes passions de sa vie, et ne plus parler, et à fortiori ne plus parler dans un micro n’est pas envisageable. Il se fixe cet objectif et cinq ans après, le voilà à l’antenne.  

Bien sûr, pour nous collègues, qui connaissons la voix et le débit de Bruno, entendre ce ton traînant nous touche aux premiers mots, et puis on se familiarise, happé par la force qui s’en dégage. Avec son orthophoniste, et ses kinés, il est en progrès constant, et ce n’est pas fini. Dans des échéances courtes, la probabilité que le résultat obtenu soit proche de ce qu’était sa voix avant le 6 février 2017 est forte. Il y a dans ce reportage une émotion maîtrisée mais que l’on devine.  

Retour à l'antenne, cinq ans après

Dans ce retour si attendu derrière un micro, et même dans ce Profession reporter, on sent la joie de Bruno de nous parler de tout cela. Nous parler tout court. Lui qui depuis l’accident s’était astreint au silence radio. Retrouvant après un an d’arrêt maladie un poste à Radio France, mais sans paroles, connecté à l’écrit sur le numérique, auteurs d’articles et de dossiers web passionnants signés de ce grand connaisseur de l’Europe centrale sur le site de France Culture. Au cap de la troisième année, il s’est lancé dans l’écriture d’une BD pour raconter 36 mois de silence radio.  

Et aujourd’hui, c’est 5 ans. Et il parle à l’antenne, on ne s’en réjouira jamais assez. Mais le fond n’a pas été aussi simple, car l’emploi du "je", parler de soi, de sa maladie, interviewer sa femme, son directeur, ses médecins, ce n’est pas courant, au-delà du courant, c’est contraire à tous les principes de la profession reporter.

Mais très vite, Bruno se décharge de ce fardeau, et l’auditeur n’a pas l’impression d’entendre un journaliste se répandre sur sa vie. Il y a tellement d’humilité, de générosité, et de force, qu’on ne pense pas à une forme narcissique. Et surtout ce que Bruno Cadène n’avait pas mesuré, c’est l’écho que son reportage allait provoquer chez toutes les victimes d’AVC.

Chaque année, environ 150 000 Français ont un accident vasculaire cérébral

40% s’en sortent sans séquelles, 10% en meurent. Entre les deux, il y a la vie avec un handicap plus ou moins visible, plus ou moins compatible avec la vie en société. Et le reportage de Bruno se révèle être un formidable message d’espoir pour celles et ceux qui se découragent devant l’adversité.  

En filigrane, ce que dit Bruno, c’est que jamais rien n’est irrémédiablement perdu. Il faut y croire. La profession reporter est fière d’avoir en son sein un homme de cette trempe. Et demain, c’est son anniversaire. 

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