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L’Iran : si loin, si proche

À trois jours de la journée internationale des droits des femmes, il est un pays où le combat des femmes occupe la une de l’actualité. C’est l’Iran. Depuis le mois de septembre, les manifestations contre le port du voile se succèdent et sont réprimées par le pouvoir. Comment couvrir ces manifestations à distance sans visa, Eric Valmir en parle avec Armin Arefi, grand reporter au "Point".
Article rédigé par franceinfo - Eric Valmir
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Image postée sur Twitter, le 26 octobre 2022. Une femme debout sur une voiture, dans un cortège de milliers de manifestants se dirigeant vers le cimetière Aichi de Saqez, en Iran, le village de Mahsa Amini, 22 ans, morte le 16 septembre, après avoir été battue à mort par la police des mœurs iranienne, qui l'avait arrêtée pour "port de vêtements inappropriés". (AFP / UGC)

Couvrir les manifestations en Iran est un casse-tête de la presse occidentale, vu que Téhéran ne délivre aucun visa, et que les journalistes présents sur place ne sont pas forcément libres de tout mouvement. Des reporters iraniens ont même quitté le pays pour travailler, estimant que leurs conditions seraient meilleures en dehors des frontières. 

Mais la parole du terrain peut être aussi recueillie par d’autres canaux, comme les réseaux sociaux. Depuis le début du soulèvement en septembre, le journaliste franco-iranien Armin Arefi, grand reporter au Point, suit au plus près la situation sur place, tout en restant à Paris. Frustrant mais passionnant.

Correspondant à Téhéran pour plusieurs titres de presse entre 2005 et 2007, Armin Arefi, journaliste, a par la suite tenu un blog sur le portail du Monde dont le titre ne laissait aucune ambiguïté : Dentelles et Tchador, et qui a lui a valu des difficultés à fouler le sol iranien. Pendant neuf ans, il ne pourra y retourner, et puis en 2016, à la faveur d’un malentendu bureaucratique, le voilà non seulement autorisé à venir en Iran pour y travailler en tant que journaliste, mais de surcroît, l’organisme proche du pouvoir, qui gère les accréditations presse se rend compte qu’il parle le persan, et qu’il n’a nullement besoin d’un traducteur comme les autres journalistes occidentaux.

Conséquence, Armin Arefi est libre de tout mouvement, sans quiconque pour l’accompagner et il peut travailler sur la société, les Pasdaran (gardiens de la révolution), les Afghans envoyés par l’Iran en Syrie, comme chair à canon. Deux années fructueuses de reportage pour son journal, l’hebdomadaire Le Point. C’était sous la présidence d’Hassan Rohani. Celui qui détient le pouvoir aujourd’hui, élu en 2021, est l’ancien chef du système judiciaire iranien, Ebrahim Raïssi. Ce régime n’entend en rien appliquer la moindre réforme, encore moins toucher à la loi qui rend obligatoire le port du voile, et réprime par le sang toute manifestation.

Couvrir à distance ces soulèvements, encore une fois le fait de la jeunesse iranienne, n’est pas une entreprise simple ;  elle est même frustrante. Mais le fait de connaître le pays, d’en saisir les mécanismes, de disposer de réseaux, de contacts sur place, est un atout majeur. Armin Arefi, en scrutant la situation iranienne, transmet une information fiable, en se gardant bien de prendre une position partisane.

Une vigilance, une veille, une analyse de chaque info, chaque image

Le reporter est un relais, il donne à voir et comprendre, et comme pour toutes les crises, il doit jongler avec la désinformation. Toujours cet entre-deux, la propagande du pouvoir, et les arrangements avec la vérité des chaînes anti-régime. Une vigilance, une veille, une analyse de chaque info, chaque image. Recouper les sources. Quand il est dit un beau matin, que le régime vacille, et que le procureur aurait annoncé l’abolition de la police des mœurs, les réseaux s’embrasent.

Or, pour un initié de l’actualité iranienne, les incohérences ne manquent pas. D’abord parce que la personne référente à qui l’on attribue ces propos, n’est pas habilité à intervenir dans ce domaine, et que le contexte de cette prise de parole ne se fait pas dans le cadre traditionnel des instances iraniennes. Il faudra deux jours avant de s’apercevoir que non seulement le régime n’entendait pas abolir la police des mœurs, mais que cette fausse information avait caché une série d’interpellations.

Pour parler tous les jours avec les Iraniennes et les Iraniens, pour suivre avec attention la moindre évolution de la situation, qu’elle soit sociétale, politique, économique, diplomatique, Armin Arefi s’autorise, en son nom propre une analyse : la crainte d’un pourrissement. Les manifestations ne renversent pas le pouvoir, en dépit de leur recrudescence, et en ce sens, on ne peut parler d’une révolution, tout au plus d’un soulèvement, et de l’autre côté, le régime ne parvient pas à étouffer le mouvement. Les deux forces se neutralisent.

Mais, trois jours avant, la journée internationale des droits de la femme, apparaît nettement l’émergence d’une société qui n’a plus peur, des femmes, dont beaucoup ont été tuées ces dernières semaines, qui continuent à manifester, ou à braver l’interdiction du tchador, de jeunes universitaires éduqués qui ne veulent plus d’un pouvoir autocratique, ce régime des Mollah, arcbouté sur ses doctrines, et qui ne connaît comme langage que le recours à la force, cette situation marque le début d’une transition. Laquelle ? Personne ne le sait vraiment, mais après les manifestations de 2009, 2017, 2019 et maintenant 2022, le décalage apparaît sensible entre le régime et la population.

Et avec des reporters comme Armin Arefi, lire dans leurs articles ces pages d’histoire en train de s’écrire, avec malheureusement des lettres de sang, est précieux, en ces temps troublés qui visent à désinformer.

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