On s'y emploie. Que dit la fatigue de notre relation au travail ?
Les vacances vous ont-elles vraiment reposé ? La fatigue a-t-elle déjà réapparu ? Un philosophe s'est penché sur ce phénomène, très contemporain.
Eric Fiat est philosophe, il est auteur d'un Ode à la fatigue, paru aux éditions de l'Observatoire.
Le burn out et même le brown out, la fatigue provoquée par le vide au travail, semblent être les maux de ce début de siècle, dans le monde du travail. Diriez-vous que les travailleurs d'aujourd'hui sont fatigués ?
Le travail engendre des fatigues, mais il est de bonnes et de mauvaises fatigues.
Le philosophe Eric Fiat
Eric Fiat : Je dirais qu'ils sont fatigués. Le sont-ils plus que ceux d'hier ? Pas sûr. Pensons à la chanson de Brassens, "Pauvre Martin, pauvre misère" : "avec une bèche à l'épaule, avec à la lèvre un doux chant il s'en allait trimer aux champs".
Nos arrières-grands parents qui étaient paysans devaient être très fatigués par leurs travaux. Ils finissaient leurs journées comme leur vie courbés, pliés, éreintés, prostrés, qui vient de prosternés, prosternés à la déesse Terre, une terre qui les atterrait, qui était de plus en plus basse, donc on aurait mauvais jeu à penser que jadis on n'était pas fatigués et qu'aujourd'hui on l'est. Le travail engendre des fatigues, mais il est de bonnes et de mauvaises fatigues.
Vous parlez à propos de ces fatigues modernes de mauvaises fatigues qui ne réparent pas avec le repos...
Eric Fiat : Le burn out est la forme extrême de la mauvaise fatigue. Il y a une bonne fatigue engendrée par le travail, quand on l'aime, quand on a l'impression de le bien faire, quand on est reconnu par les autres, cette fatigue est bonne et elle trouvera dans le repos son remède, on dormira du sommeil du juste.
Mais j'ai l'impression que beaucoup sont victimes de mauvaise fatigue, qui est une fatigue qui vient du fait qu'on n'aime pas vraiment son travail, qu'on ne le comprend pas bien et cela engendre qu'on ne dormira pas du sommeil du juste, mais du sommeil de l'injuste, lequel n'est pas réparateur.
On a perdu en Occident une heure et demie de sommeil en cinquante ans. Et même si on dort, dort-on bien quand on pense encore à son travail ? Voilà ce qui m'inquiète, une mauvaise fatigue engendrée par un travail qu'il est difficile d'aimer.
Vous rappelez dans votre ouvrage que le burn out a été identifié dès le Moyen-Age !
Eric Fiat : au Moyen Age on parlait d'un épuisement, d'une lassitude qui venait parfois aux moines au bout de sept/huit ans d'entrée au monastère, ça s'appelait l'acédie, qui ressemble incroyablement à ce que l'on décrit à propos du burn out.
Est-ce que notre société moderne tolère bien la fatigue ?
Il faudrait pour être digne d'exister dans ce monde être toujours performant et la fatigue est toujours l'aveu d'une limite, donc elle la tolère assez mal. Et pourtant, nous sommes tous fatigués.
Le philosophe Eric Fiat
Eric Fiat : Mais non parce qu'elle a pour idéal la performance et qu'être fatigué c'est forcément avouer sa finitude et sa limite et c'est ça qui m'inquiète, c'est que nous sommes dans une société qui est moins du devoir, du plaisir, que de la performance.
Il faudrait pour être digne d'exister dans ce monde être toujours performant, et la fatigue est toujours l'aveu d'une limite, et donc elle la tolère assez mal. Et pourtant nous sommes tous fatigués. J'ai parfois l'impression qu'autour des tables des réunions de travail tout le monde joue la comédie de l'infatigabilité, tout le monde essaie de ressembler à notre président qui ne dort que quatre heures par nuit et qui est toujours frais et dispo, et pourtant quand on regarde attentivement les visages, on voit que la fatigue est là.
Ce serait très bien que chacun d'entre nous puisse avouer sa fatigue sans être immédiatement humilié par l'autre qui dirait sa forme. Cela pourrait créer une espèce de solidarité des fatigués et j'ai l'impression que le premier qui dirait "oui j'en peux plus, je suis fatigué, jouerait le même rôle que l'enfant dans le conte d'Andersen, "Les habits neufs de l'empereur", qui est le premier à dire "le roi est nu !".
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