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Le "grand jeu" de Recep Tayyip Erdoğan

Malgré une situation économique au bord du gouffre et la chute brutale de la livre turque, le président turc Recep Tayyip Erdoğan a su trouver une place diplomatique et géopolitique à l’occasion du conflit russo-ukrainien.

Article rédigé par franceinfo - José-Manuel Lamarque
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 185 min
Photo du service de presse du président turc Erdogan du 18 mars 2022. Erdogan pose durant l'inauguration du Pont du détroit des Dardanelles, à environ 10 km au sud de la mer de Marmara. C'est le pont en suspension le plus long au monde au nord-ouest de la Turquie, qui raccourcit le temps de voyage entre l'Asie et l'Europe.  (HANDOUT / TURKISH PRESIDENCY PRESS OFFICE / AFP)

Comme nous l’explique Ahmet Insel, journaliste, écrivain et universitaire, le président turc sait se positionner dans la crise que subissent l’Union européenne, l’Ukraine et la Russie. Si Recep Tayyip Erdoğan a su se montrer rude avec certains états membres de l’UE, voire menaçant avec d’autres, Grèce et République de Chypre, il n’en a pas moins su investir dans des accords économiques et militaires avec l’Ukraine, et trouver une certaine "entente" avec Vladimir Poutine, tout en prenant des positions adverses avec le président russe, par exemple lors du conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. 

Une certaine idée de la diplomatie ottomane

Notre invité, Ahmet Insel, nous a permis de comprendre la stratégie de Recep Tayyip Erdoğan par rapport au conflit entre la Russie et l’Ukraine. Ainsi, le président turc s’est replacé dans l’actualité mondiale en faisant valoir son appartenance à l’Otan, donc s’opposant à la Russie, mais sans pratiquer les sanctions prévues par l’UE et les États-Unis contre Moscou.

D’autre part, l’avancée des troupes russes sur la côte ukrainienne de la mer Noire fait craindre à Recep Tayyip Erdoğan – si jamais la Russie s’emparait de cette côte – un face à face inévitable avec la Russie, la Turquie représentant l’Otan dans cette zone, où ni la Géorgie, la Bulgarie ou la Roumanie pourraient difficilement apporter un équilibre géopolitique.

Mais si Vladimir Poutine est un joueur d’échecs, Recep Tayyip Erdoğan est lui, un joueur de tavla. Le jeu de tavla, backgammon ou jacquet en Occident, consiste à faire effectuer à tous ses pions le tour du damier et à les sortir le premier face à son adversaire, mais à chaque lancer de dés, on risque de recomposer son jeu à chaque fois, bon ou mauvais, et donc de reprendre, modifier ou imaginer une stratégie différente. Comme quoi les jeux de société ancestraux, comme aussi le jeu de Go, sont aussi des méthodes de géopolitiques souvent méconnues.

Et comme le rappelle Ahmet Insel, Recep Tayyip Erdoğan sait jouer sur différents tableaux, ayant déjà préservé ses "œufs dans différents paniers" ukrainien, russe, otanien. C’est ainsi que Recep Tayyip Erdoğan apparaît comme possible médiateur dans une supposée résolution du conflit russo-ukrainien, aux côtés d’Israël.

Ici, Recep Tayyip Erdoğan apporte des gages de "bonne volonté" à ses alliés de l’Otan, malgré le fait qu’il ne soit guère apprécié par le président Biden, œuvrant pour la paix en Ukraine, et espérant en retour que ses alliés le laisseront agir à sa guise en Turquie – non-respect des droits de l’Homme – occupation en Syrie et à Chypre nord, prétentions sur la mer Egée.    

Comment sauver l’économie turque ?

Comme nous le souligne Ahmet Insel, si le président turc n’applique pas les sanctions à l’encontre de la Russie, faisant ciller les Européens et les Américains, il faut y voir, pour lui, de profiter de l’exil des fortunes et de jeunes diplômés russes, comme on le voit en Géorgie et en Finlande. Mais pour Recep Tayyip Erdoğan, il s’agit aussi de parier sur l’arrivée des entreprises européennes sur le sol turc, quittant la Russie, ce qui serait une bouffée d’oxygène pour l’économie turque.

Ainsi Recep Tayyip Erdoğan sait se trouver une place dans la diplomatie internationale en tentant de redorer le blason de son pouvoir à une année des élections législatives et présidentielles turques, et surtout à l’aube du centenaire de la fondation de la république turque, 2023.

Semblablement, si l’Europe a vu en 1919 la chute des empires, russe, austro-hongrois, ottoman, allemand, un siècle plus tard, l’UE verrait-elle la naissance de nouveaux empires, russe, chinois et turc, tous sur le même continent ? Apportant ainsi une réponse à la question de Paul Valéry, "L’Europe, un petit cap du continent asiatique ?", en voyant se réaliser le rêve eurasiatique de Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdoğan ?. Quant à "l’allié" américain de l’UE, il sera toujours séparé d’elle par un océan, c’est-à-dire, le grand large… 

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