Festival de Cannes 2024 : bilan de la 77e édition... et des favoris, l'iranien Mohammad Rasoulof, Michel Hazanavicius, Jacques Audiard
En ce jour de palmarès du 77e festival de Cannes, on fait le bilan de cette édition, avec Thierry Fiorile et Matteu Maestracci qui seront en direct sur franceinfo pour la cérémonie à partir de 18h40.
franceinfo : 22 films étaient en compétition et plusieurs peuvent prétendre à la Palme d'or, notamment Les graines du figuier sauvage de Mohammad Rasoulof...
Thierry Fiorile et Matteu Maestracci : Le cinéaste s'est évadé d'Iran, peu de temps avant le début du festival, son film a été projeté le dernier jour de la compétition, Mohammad Rasoulof bouleverse les pronostics. Les graines du figuier sauvage est une œuvre implacable, on voit mal comment la Palme d'or pourrait lui échapper.
Condamné par le régime des mollahs une nouvelle fois, à 8 ans de prison, en appel, Mohammad Rasoulof, signe son film le plus frontal, le plus politique, ce qui n'enlève rien à ses qualités artistiques. C'est une fiction ancrée dans les évènements de 2022, le mouvement "Femmes, vie, liberté".
Cette fracture de la société iranienne, entre jeunes en quête de liberté, et leurs parents tenants d'un statu quo conservateur, Rasoulof la personnalise magnifiquement dans une famille, le père est enquêteur bientôt juge, et prononce des peines à tour de bras contre les émeutiers. La mère est tiraillée entre lui, qui voit dans les manifestations le complot d'un "ennemi" et leurs deux filles adolescentes qui ne décrochent pas des vidéos amateurs de bavures sur leurs téléphones et soutiennent ces jeunes.
"Je suis persuadé que la nouvelle génération, grâce à son accès aux médias, à l'information et à la conscience, ils ont vraiment la communication entre leurs mains, et donc vont susciter d'énormes changements."
Le cinéaste iranien condamné dans son pays, Mohammad Rasoulofà franceinfo
Autre long métrage à avoir marqué les esprits hier, pour le dernier jour de projection du festival, le film d'animation français réalisé par Michel Hazanavicius, La plus précieuse des marchandises, adaptation du conte du même nom de Jean-Claude Grumberg. Le père d'un nourrisson dans un train, en route pour les camps d'extermination, le dépose dans la neige pour le sauver. Le nouveau-né sera recueilli et élevé par une vieille bûcheronne. Michel Hazanavicius, issu de deux familles juives, polonaise et lituanienne, s'est évidemment posé la question de la représentation de la Shoah.
"Montrer la réalité pose déjà deux problèmes. D'abord, l'horreur. Et si vous ne faites pas ça, vous êtes dans l'impossibilité du mensonge. Si vous ne montrez pas ce qui s'est passé, et que vous montrer autre chose, vous faites croire qu'autre chose s'est passé. Or, c'est ça qui s'est passé. Donc la voix, c'est celle de la suggestion, et l'animation vous le permet..."
Michel Hazanaviciusà franceinfo
Le film sortira au mois de novembre, sachez qu'on a la joie d'y entendre la voix de Jean-Louis Trintignant, disparu le 17 juin 2022.
Une compétition inégale cette année, mais de belles surprises...
Longtemps favori, Jacques Audiard nous a émerveillés, et on n'est pas les seuls, avec Emilia Perez, opéra filmique plus que comédie musicale, d'une facture sublime. La conversion de genre d'un narcotrafiquant mexicain, poétique, mélo, drôle et formidablement chanté et dansé. Pourquoi pas un prix d'interprétation féminine, pour Karla Sofia Gascon, femme transgenre espagnole, tellement heureuse d'être à Cannes.
C'était moins brillant chez les interprètes masculins, citons tout de même trois comédiens américains : Richard Gere dans le film de Paul Schrader Oh, Canada, Sebastian Stan en Donald Trump dans The Apprentice d'Ali Abbasi, et Jesse Plemons, chez le réalisateur grec Yorgos Lanthimos, dans Kinds of Kindness.
Première femme indienne en compétition à Cannes, la réalisatrice Payal Kapadia pourrait être au palmarès avec All We Imagine as Light. Film en deux parties qui marque son passage du documentaire à la fiction, tellement le début est réaliste. À Mumbaï, trois femmes sans mari travaillent dans un hôpital. La deuxième partie du film se passe au calme, au bord de la mer, où elles se retrouvent. Scènes poétiques, apparition d'un fantôme, sororité des personnages, Payal Kapadia fait une belle entrée dans la fiction, pour évoquer la condition féminine en Inde.
"En tant que femme indienne, on peut être indépendante, mais la famille et les contraintes sociales nous empêchent d'avoir l'autonomie que devrait nous accorder notre liberté financière et financière. Et ça concerne toutes les classes, en Inde."
La cinéaste indienne Payal Kapadiaà franceinfo
Le chinois Jia Zhang-Ke a surpris le festival avec Caught by the Tides, film fabriqué en grande partie avec des rushes et des essais, de ses nombreux et précédents longs-métrages. Son épouse, l'actrice Zhao Tao parcourt 25 ans d'évolution au pas de charge de la Chine, son personnage mutique semble nous dire par son silence, toute la mélancolie d'une population épuisée.
L'Amour ouf de Gilles Lelouche a majoritairement déçu : l'histoire d'amour commencée durant l'adolescence d'une gamine sage, Adèle Exarchopoulos et d'une petite frappe qui passera par la case prison, François Civil, déborde de tous les côtés : trop de bruit, de sang, de testostérone, de clichés et même d'éclipses solaires !
En parlant de bruit et de sang, il est possible, en revanche, que le déjanté et très, très gore The Substance, deuxième long-métrage – certes hollywoodien – de la française Coralie Fargeat, trouve aussi sa place dans cette distribution de trophées ce soir, sachant que cette d'histoire d'actrice 'has been' remplacée par un avatar plus beau et plus jeune, a électrisé public et journalistes, notamment internationaux, et ce genre au féminin, assez mal élevé, peut sans doute séduire la Présidente de ce festival, Greta Gerwig, et ses jurés.
Enfin de très belles choses dans les sections parallèles ?
On peut citer en vrac les nouveaux films de Thierry de Peretti, Arnaud et Jean-Marie Larrieu, Alain Guiraudie, le documentaire La Belle de Gaza de Yolande Zauberman, Vingt Dieux de Louise Courvoisier, et Le Procès du chien de Laetitia Dosch qui a remporté la "Palm dog" qui honore le meilleur chien des films cannois.
À la Quinzaine des cinéastes, belle cuvée qui récompense la regrettée Sophie Fillières, prix SACD pour Ma vie ma gueule, avec Agnès Jaoui, le très talentueux espagnol Jonas Trueba, remporte le Label Europa Cinemas pour Septembre sans attendre, qui logiquement sortira le 28 août, la Quinzaine s'est finie en fanfare, avec le trublion Jean-Christophe Meurisse et son hilarant Les pistolets en plastique, librement inspiré de l'affaire Dupont de Ligonnès, en salles le 26 juin.
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