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Présidentielle: "On est les bons à rien de l'histoire", pourquoi ces habitants des quartiers ne croient plus en la politique

Certains candidats font quelques incursions dans les banlieues populaires. Mais à moins de deux mois du premier tour, il n'en est que très peu question dans leurs programmes. Franceinfo s'est rendu dans plusieurs cités de Seine-Saint-Denis où s'exprime un ras-le-bol des invectives mais aussi des promesses du monde politique.

Article rédigé par Victoria Koussa
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Une cité de Clichy-sous-Bois, en février 2022. (VICTORIA KOUSSA / RADIO FRANCE)

À Montreuil, en Seine-Saint-Denis, cité de l'Amitié, où onze barres d'immeubles aux façades défraîchies se font face, Christiane Taubira vient à la rencontre des habitants.

La candidate croise Fatima, qui dit ne plus croire en la politique : "Quand tu commences à regarder leurs projets pour la campagne électorale, on est dans le rêve. Mais à la fin, une fois qu'ils sont élus, ou pas élus, tout redevient comme avant. Ici, il y a beaucoup de cambrioleurs, beaucoup de trafiquants de drogue. Franchement, il y a beaucoup de choses à nettoyer."

Bintou, habitante de la cité de l'Amitié à Montreuil (Seine-Saint-Denis), en février 2022. (VICTORIA KOUSSA / RADIO FRANCE)

Appuyé sur une rambarde, en face d'un local où les jeunes se retrouvent pour des cours de français ou du théâtre, Samir, 33 ans, est lassé lui aussi : "Les jeunes de banlieue sont les enfants oubliés de l'histoire. Après, on ne les oublie pas quand il faut parler d'eux en mal. On est les bons à rien de l'histoire. La question à se poser, c'est pourquoi ça ne va plus, c'est parce qu'il y en a ras-le-bol. C'est comme si on s'adressait à un mur. Si on vote, c'est pour quelque chose de concret derrière. Ce n'est pas pour des belles paroles."

"On en a marre d'entendre des belles paroles avant les élections. Et ces belles paroles sont jetées à la poubelle après les élections."

Samir, 33 ans, habitant de Montreuil

à franceinfo

À côté de Samir, Bintou, voile beige autour de la tête, promène comme d'habitude ses enfants en poussette dans les allées de la cité. Cette campagne est encore plus violente que d'habitude d'après elle. La jeune femme se sent pointée du doigt. "Tout ce qui est dit à la télé par les autres candidats... Ils nous insultent, on ne peut plus, on est stressé, déplore-t-elle. Si je regarde mes papiers, je vois Française. En réalité, même si tu es Français on te demande d'où tu es originaire. On en a marre d'entendre tous ces trucs là." Ces candidats d'extrême droite auxquels Bintou fait référence changent la donne selon elle. Samir et Fatima se sentent eux aussi pris pour cible et nous ont confié avoir l'intention d'aller voter contre.

Du porte à porte contre l'abstention

Les candidats vont pourtant dans les quartiers, parlent des quartiers. Des partis semblent plus présents dans ces banlieues populaires à en croire les panneaux d'affichage. Fabien Roussel, Nathalie Arthaud, Jean-Luc Mélenchon... La France insoumise y va à fond. Le porte-à-porte n'est pas que l'affaire des militants. Éric Coquerel, député de Seine-Saint-Denis, toque aux portes dans une tour de Saint-Ouen : "Bonjour, vous aimez bien Jean-Luc Mélenchon ? Vous êtes inscrite sur les listes ?"

Le député LFI Eric Coquerel fait du porte-à-porte dans une cité de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), en février 2022. (VICTORIA KOUSSA / RADIO FRANCE)

Dans ces zones périphériques où la gauche a beaucoup perdu, l'adversaire n'est pas la droite mais l'abstention, explique le co-président du parlement de campagne de Jean-Luc Mélenchon : "Moi, j'ai toujours été convaincu que c'est là que les voix nous manquaient, donc là, cette fois-ci, il faut qu'on arrive à les retrouver, les retrouver et les augmenter." Cette opération séduction se décline aussi dans les programmes des candidats. La gauche parle pouvoir d'achat et lutte contre les discriminations. La droite parle de sécurité. Valérie Pécresse promet de "détruire les ghettos en dix ans", Éric Zemmour et Marine Le Pen veulent faire "la guerre aux racailles". 

Pas de grand plan dans les programmes

Chacun son angle d'attaque mais aucun, à gauche comme à droite, ne prévoit un grand plan pour les quartiers. Pour pallier cette absence dans les programmes, des habitants tentent de s'emparer de la campagne comme le collectif "Pas sans nous" qui sillonne les cités pour inciter à voter. Il fait aussi des propositions pour les imposer dans le débat. Depuis plus de quinze ans, le président du collectif, Mohamed Mechmache prend son bâton de pèlerin, il approche les jeunes comme lors de cette étape à Stains, autre commune de Saine-Saint-Denis.

"On ne veut pas rester spectateurs, il y a des gens qui parlent mal de nous". 

Mohamed Mechmache, président de "Pas sans nous"

à franceinfo

"Il y a des gens qui sont en train d'expliquer qu'en fait on serait le problème de tout, dénonce-t-il. Mais quand ils mettront les moyens pour que les gens aient du boulot, pour que les gamins ne quittent pas le système scolaire..." Mohamed Mechmache est interrompu par un habitant qui confie : "J'en parle, j'ai les larmes aux yeux. C'est vrai, il y a des gens ils sont à la gorge. Tu fais comment? Tu tombes dans le crime. Mon frère, il vend du shit, il a 10 ans. Il se lève le matin à 10 heures et il se couche à minuit."

"Des barbelés invisibles partout"

Parler le même langage, celui des galères, parler du même vécu, c'est ce qui aide Ramissa, autre militante du collectif. Elle tente de convaincre les habitants du Mirail à Toulouse de la nécessité de s'inscrire sur les listes électorales. "Il n'y a pas d'issue, on a l'impression d'être enfermé, il y a des barbelés invisibles pour tout, pour l'emploi, dans les écoles et moi, je me suis dit à un moment donné faut se bouger, faut réveiller les gens et leur dire 'si vous voulez que ça reste comme ça, on va se coucher et puis c'est tout on oublie'" Elle s'adresse à "des jeunes et moins jeunes. Il y a une personne qui n'a jamais voté de sa vie. Elle a 60 ans. Elle m'a dit Ramissa, ça y est, je sors de la mairie, je suis allée m'inscrire'".

Cette mobilisation se traduit-elle dans les urnes ? Difficile à dire, d'autant qu'à Stains, le stand du collectif "Pas sans nous" n'attire pas grand monde. La méfiance semble rester de mise quand il est question de politique.

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