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"Une enfance de rêve" de Catherine Millet

Christophe Ono-dit-Biot, rédacteur en chef adjoint de la rédaction du "Point", conseille cette semaine le nouveau roman de Catherine Millet, "Une enfance de rêve", aux éditions Flammarion.
Article rédigé par Bertrand Dicale
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
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Un beau livre signé d'une sorte de revenante, Catherine Millet, l'auteur qui avait déclenché le scandale, et donc l'engouement, avec l'aveu de sa sexualité king-size dans la Vie sexuelle de Catherine M , qui avait permis à des centaines de milliers de françaises de vibrer secrètement en plongeant dans ce livre brûlant et froid à la fois alors qu'à côté d'elles leur mari dormait.

Brûlant et froid, telle la signature de Catherine Millet, grande critique d'art, patronne de la revue de référence sur le sujet Art Press, commissaire d'exposition, qui avait signé par la suite un non moins brûlant et froid Jour de souffrance , où cette échangiste orgiaque avouait sa jalousie maladive, où celle qui "baisait par-delà toute répugnance" confessait le mal qui la rongeait.

Un troisième opus plus mystique

Evidemment, après ces deux livres, lorsqu'on nous en annonce un troisième, on se dit que c'est la fin du triptyque, désir, jalousie, ce versant noir de la chose sexuelle, comme le dit Michel Schneider dans Le Point , on va avoir une nouvelle Catherine Millet érotique. Au contraire, dans Une enfance de rêve , il n'y a absolument aucun aveu sexuel, mais plutôt son complément, des aveux mystiques. Après la chair, l'âme, et surtout comme elle se déploie dans le corps d'un enfant.  

Avec ce nouveau livre, Catherine Millet descend dans son enfance pour interroger l'enfant qu'elle fut. D'où lui vient son goût des arts, son dégoût de la morale établie, d'où lui vient son désir d'écrire. Pour cela, elle part à la recherche de l'enfant perdue. Tout commence à Bois-Colombes, avec l'arrivée d'un bébé dans un immeuble, en 1951, dans un petit appartement de banlieue.

On va suivre Catherine Millet dans cette enfance, à travers une foule de souvenirs, la mère coquette et midinette, les vacances en Bretagne, à Quiberon, les premières règles, la façon qu'elle avait de prier Dieu en lui offrant de l'eau de Vichy, la bibliothèque verte, la découverte nocturne et manuelle du plaisir, aussi, et les filles qui marchent pieds nus dans les films qu'elle aimait, Gina Lollobrigida ou Claudia Cardinale.

Une famille bourgeoise qui se déchire

On la suit, en suivant ce que touche le regard de Catherine Millet, dans cette enfance petite bourgeoise en banlieue, au sein d'une famille composée des parents, des enfants, et d'une grand-mère aux côtés de laquelle dort la petite Catherine. Une famille aussi qui, malgré le nom rieur, symboliquement apaisé de Bois-Colombes, est une famille où l'on se déchire.

"Le régime des disputes et des disputes dégénérant en bagarres faisait partie de l'ordinaire... " , écrit-elle de ce foyer qu'elle décrit comme "la fournaise de l'enfer" , se souvenant aussi que le petit frère, Philippe, qui est le fils d'un autre homme, "torture" ,  sa sœur Catherine.

Dans cette famille, on se déchire, et on se tuera bientôt. Le frère meurt à 21 ans, la mère se défenestre après la mort du père. Une famille dont il faudra s'évader, par les livres, par les films, par les rêves qu'on superpose à ces cauchemars, avec une faculté terrifiante, d'ailleurs à glisser sur tout.

L'enfance de Catherine M.

On a l'impression, en tant que lecteur, d'être parfois l'analyste de Catherine Millet quand on la lit, cette faculté de se regarder vivre, comme si elle avait réussi à se dédoubler, à se regarder de haut, ou plutôt de côté, vivre et apprendre la vie. Un souvenir en donne d'ailleurs une idée, un moment où, en classe de maternelle, la maîtresse fait l'appel et que Catherine a du mal à répondre "présente" .

Ce livre est  une tentative pour rendre présente son enfance et se rendre présente dans cette enfance. Ne plus être dans un monde flottant, mais le fixer par des mots. Ce qui est, finalement, une assez belle explication de ce qu'est écrire, comme elle le dit si bien, dans cette "enfance de rêve"  : "Si chacun de nous voyait vraiment ce qu'il a devant les yeux [...] il aurait la satisfaction de constater que sa propre existence présente la cohérence d'un roman bien construit [...] au lieu qu'elle lui paraisse, comme c'est le cas le plus souvent, un confus conglomérat de faits et d'émotions."

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