Cette fois-ci, il s'intéresse au sujet roi, les arbres, l'arbre, le végétal souverain, en nous offrant une promenade à travers les rapports que les hommes ont eu avec l'arbre : pourquoi ils sont admiratifs de ces grands édifices feuillus, des forêts, pourquoi ils ont en peur, aussi, en en faisant le domaine des génies, bons ou mauvais, pourquoi ils ont peint les arbres, écrit sur les arbres, bref, qu'est-ce que les hommes voient dans l'arbre ?Un voyage dans les arbres, dans l'imaginaire lié aux arbres, qui en ditlong, donc, sur les hommes. C'est ce que dit Alain Corbin dans une longueinterview que vous pourrez lire dans Le Point dans laquelle il déclare quecertes, il a choisi d'intituler son livre La douceur de l'ombre , maisque nous entretenons avec lui un rapport paradoxal. Qu'il y a les branches, quiont toujours évoqué la montée vers le ciel, la noblesse, l'élévation, maisqu'il y a aussi les racines, et que les racines ont une nature forcément maléfique.Comme si quelque chose s'accomplissait dans la lenteur, le silence etl'invisibilité, et cette vie profonde inspire de la terreur. Et tout le méritede Corbin, c'est de nous offrir un voyage dans toute l'ambigüité de cetterelation que nous avons à l'arbre, comme l'indique le sous titre, L'arbre, source d'émotions, del'Antiquité à nos jours .C'est un livre d'histoire, mais façon Corbin : "s'étendresous les ombrages, s'y délasser, y méditer, s'enfouir dans le végétal, s'ycacher, si réfugier, y grimper constituent autant de comportements répondant àdes pulsions profondes." C'est à dire qu'il se base sur des ressentisque tout le monde peut éprouver. Et puis c'est un livre d'histoire, mais aussiune promenade dans la littérature, où il convoque les meilleurs guides quisoient pour nous accompagner dans cette forêt et qui nous content cerapport ancestral et toujours contemporain de l'homme à l'arbre : Virgileet Péguy, Chateaubriand et Senancour, Rousseau et Yves Bonnefoy, Victor Hugo,Dante et George Sand, ou Lamartine, qui parle aussi des arbres comme des "vieuxtémoins des âges écoulés" , parce que, évidemment, ce qui a toujoursmarqué l'esprit humain, qu'il soit poète ou non, quand il regarde un arbre,c'est que l'arbre survit à l'homme, a connu d'autres époques, l'arbre nousdépasse.Des peintres aussi, comme Matisse, qui témoignait que dès qu'il voyaitun arbre, il pensait à une femme... Mais oui, il y a un aspect de rêverieérotique dans la contemplation de l'arbre. Le romancier britannique D. H.Lawrence soulignait "l'énorme convoitise des racines " , ce qu'ilperçoit comme leur "lubricité " . "J'avaispeur, écrit-il, de la ruée aveugle de leur convoitise." **Dansles textes religieux, il y a immédiatement un lien entre l'arbre et le diable. C'est par l'arbre, où s'enroule le serpent, que nait dans la genèse latentation, le péché originel. Chateaubriand dans le génie du christianisme ditque les arbres ont inspiré le style gothique, mais avant le christianisme,l'arbre a joué un rôle crucial. A Athènes, jadis, lirez vous dans Le Point,celui qui déracinait un olivier était puni de mort pour cause de sacrilège. Parla suite, le droit s'est adouci. Un propriétaire de champs où poussaient desoliviers avait l'obligation de les entretenir, et il lui était même interdit decultiver autour.En Grèce, il faut penser aussi à toutes les nymphes qui viventdans les arbres, les dryades, par exemple. Il n'y a pas qu'ne Grèce, les cultespaïens se sont tous basés sur les arbres, les pères de l'Eglise vont d'ailleursappeler ça la "dendrolâtrie", l'idolâtrie desarbres, avant de la récupérer, très intelligemment d'ailleurs. — comprenez : le culte païen des arbres —,avant d'en accaparer certaines croyances. Partout où elle est plantée, la croix en bois signale la présencede Dieu.