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Vrai ou faux
Guerre au Poche-Orient : la France vend-elle des armes à Israël ?
Le ministre des Armées le martèle, "on ne vend pas d'armes à Israël." Sébastien Lecornu était l'invité de la matinale de France Inter, jeudi 10 octobre, à peu près un an après l'attaque du Hamas contre Israël du 7-Octobre 2023, qui a fait plus de 1 200 morts. Depuis, la réponse israélienne sur la bande de Gaza est intense. Les combats et les bombardements ont dévasté des secteurs entiers de la zone, forçant la quasi-totalité de ses 2,5 millions d'habitants à se déplacer. Au moins 40 000 Palestiniens ont été tués.
Alors que l'offensive israélienne est de plus en plus critiquée sur la scène internationale et qu'Emmanuel Macron a appelé à l'arrêt des livraisons d'armes à Israël, le ministre des Armées a déclaré que la France "livre des composants sur des systèmes purement défensifs, par exemple des systèmes de roulement à billes, de ressorts sur le Dôme de Fer, des plaques de blindages sur des véhicules. Mais donc, en dépit de ce que raconte la France insoumise depuis un an, il n'y a aucune arme livrée à Israël". Vrai ou Faux ?
Des fusils d'assaut en 2022
C'est vrai pour l'année 2023. Cette année-là, en effet, la France n'a livré aucune arme à Israël. (Les chiffres pour l'année 2024 ne sont pas encore disponibles.) En revanche, l'année d'avant, en 2022, la France a bien livré des armes à l'État hébreu, il s'agissait de huit fusils d'assaut, selon l'annexe 11 du rapport annuel sur les exportations d'armement de la France que le ministère des Armées a transmis au Parlement en 2023, avec les données de l'année 2022.
Le Vrai ou Faux a consulté tous les rapports annuels sur les exportations d'armement de la France depuis l'an 2000. Entre 2000 et 2023, la France a bien vendu des armes à Israël mais seulement quelques unes et à deux reprises uniquement. La première fois remonte à 2011. La France a livré trois fusils à l'État hébreu cette année-là, et la deuxième fois, donc, en 2022, elle a livré ces huit fusils d'assaut.
Le Vrai ou Faux a contacté le ministère des Armées pour savoir dans quel but ces huit fusils d'assaut avaient été livré à Israël en 2022, mais le ministère n'a pas souhaité répondre sur ce point.
Des millions d'euros de matériel de guerre
Si elle ne livre pas, ou peu, d'armes à Israël, la France lui livre en revanche du matériel de guerre. En 2023, Paris a livré plus de 30 millions d'euros de matériel de guerre à l'État hébreu, selon le rapport sur les exportations d'armement de 2024. Quelque 204 millions d'euros de matériel de guerre depuis dix ans. Du matériel qui a déjà été envoyé là-bas. Le rapport du ministère ne donne pas de détails sur la nature de ce matériel.
En 2023, la France a également autorisé des entreprises françaises à exporter pour plus de 176 millions d'euros de matériel. Ces autorisations sont délivrées aux entreprises avant qu'elles n'entrent en discussion avec leur client. On ne sait pas si une partie de ces exportations a déjà été réalisée, et ferait donc partie des plus de 30 millions d'euros de matériel évoqué plus haut, ou si ce ne sont que des exportations futures.
Casques, boucliers, blindages, roulements à billes
Dans ce matériel de guerre, dont Paris a autorisé l'exportation, il est vrai, comme le dit le ministre, qu'il ne s'agit en grande majorité pas des armes en soi ou de leurs composants. On retrouve 90 millions d'euros de "matériel, constructions et composants blindés ou de protection", autrement dit des casques, des boucliers de protection balistique ou des tenues de déminage. Quelque 32 millions d'euros pour du "matériel d'imagerie ou de contre-mesures spécialement conçu pour l'usage militaire, et ses composants et accessoires spécialement conçus". Il peut s'agir, par exemple, de jumelles thermiques.
Sébastien Lecornu affirme par exemple que la France vend des "roulements à billes", et en effet Paris a délivré huit autorisations en 2023 pour exporter du matériel de catégorie ML10 (selon la classification de la Military List commune aux pays de l'Union européenne), pour un montant total de 1,8 million d'euros, et selon les exemples donnés dans le rapport du ministère il peut s'agir de roulement à billes pour aéronefs. La catégorie ML10 est aussi celle des avions Rafale mais leur coût d'environ 70 millions d'euros la pièce est bien plus élevé que le montant total des exportations de ML10 accordées.
Le ministre parle également de "plaques de blindages sur des véhicules". Cela peut correspondre à la catégorie ML6 des "véhicules terrestres et de leurs composants", dont les exportations autorisées atteignent la valeur total de six millions d'euros.
Du matériel directement lié aux armes
D'autres catégories de matériels, dont l'export a été autorisé, posent davantage question. La catégorie ML2, par exemple. Catégorie des "armes à canon lisse d'un calibre égal ou supérieur à 20 mm", comme des canons de 30 mm. La France a autorisé un export pour une valeur de 57 000 euros.
Pour la catégorie ML4, la catégorie des "bombes, torpilles, roquettes, missiles, autres dispositifs et charges explosifs et matériel et accessoires connexes et leurs composants spécialement conçus", comme des torpilles lourdes ou dans lance-leurres, là, la France a délivré quatre licences d'exportations de matériel de cette catégorie pour un montant de plus de 18 millions d'euros.
Pour la catégorie ML5, la catégorie des "matériels de conduite de tir et matériel d'alerte et d'avertissement connexe, et systèmes et matériel d'essai, d'alignement et de contre-mesures connexes spécialement conçus pour l'usage militaire, et leurs composants et accessoires spécialement conçus", comme des radars mobiles de surveillance ou des désignateurs laser, huit exports ont été autorisés pour un montant total dépassant les 3 millions d'euros.
Pour la catégorie ML8, qui concerne des "matières énergétiques et substances connexes", comme des bidons de perchlorate d'ammonium, un oxydant utilisé pour propulser des missiles balistiques, un export autorisé d'une valeur de près de 300 000 euros est signalé.
Pour la catégorie ML16, qui concerne des "pièces de forge, pièces de fonderie et autres produits non finis", comme des tubes d'armes à feu, des ébauches pour canon d'artillerie et des pièces forgées pour transmissions hélicoptère, on constate trois exports pour une valeur de 4,7 millions d'euros. La France a aussi autorisé des exportations de matériel de production d'armes et de technologies.
Du matériel utilisé "pour se défendre", selon le ministère des Armées
Dans ces catégories, on ne sait pas ce qui va être exporté exactement. S'il s'agit d'un canon ou de ses composants, d'un missile ou de ses composants, etc. Le Vrai ou Faux a contacté le ministère des Armées pour avoir davantage d'informations à ce sujet, mais il a refusé d'en donner. Il a répété la position donnée par le ministre sur France Inter : "La France ne livre pas d’armes à Israël. La France livre des composants, comme des capteurs de positions, des ressorts ou des roulements à billes, uniquement pour des systèmes purement défensifs, comme le Dôme de fer. Ce Dôme de fer ne permet pas à Israël de frapper les pays frontaliers, ce n’est pas une arme d’agression mais un moyen qui permet à Israël de se défendre, de protéger les populations civiles."
S'il s'agit de composants, on ne sait pas non plus à quel point ils sont stratégiques ou nécessaires pour utiliser des armes. En mars 2024, les médias Disclose et Marsactu révélaient que la France avait livré 10 000 pièces métalliques servant à relier les munitions des fusils automatiques mitrailleurs. Un expert leur expliquait que "sans eux, l'arme ne fonctionne pas".
Après cette révélation, le ministre de Armées affirmait que la France n'avait pas autorisé Israël à utiliser ces pièces, mais uniquement à les réexporter. Le média notait l'absence de contrôle sur place sur ce qui est fait des livraisons françaises. En février 2024 déjà, Sébastien Lecornu affirmait que les composants vendus par des entreprises françaises à Israël étaient utilisés "dans des systèmes purement défensifs". Il disait alors que la France entendait être "irréprochable" en la matière.
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