Intéresser les jeunes à la politique : oui, mais comment ? Le Vrai du Faux Junior
Focus dans le Vrai du Faux Junior sur la façon dont les 12-18 ans s'intéressent à la politique et éclairage de la politologue Anne Muxel.
Comment intéresser les 12-18 ans à la politique en partant des besoins et attentes spécifiques de cette tranche d’âge, à l'heure de la campagne pour l'élection présidentielle ? Des élèves du collège Pablo Picasso, à Montesson, dans les Yvelines et du lycée Paul Bert à Paris y ont réfléchi pour le Vrai du Faux Junior, avec l'éclairage d'Anne Muxel, directrice de recherche au CEVIPOF, le centre de recherche politique de Sciences Po, et auteur du livre Politiquement jeune.
Un intérêt réel pour la politique
"Ma mère quand je parle de politique elle dit "ça ne te regarde pas" [...] Quand j'étais petit ça ne m'intéressait pas du tout. En ce moment ça m'intéresse", explique Bader. "Parce qu'avec ce qu'on a vécu du confinement, ajoute t-il, toujours s'informer c'est devenu une habitude." "Parce qu'on a grandi, on s'intéresse plus au monde dans lequel on vit", ajoute Anne-Marie.
Ce dialogue entre collégiens illustre ce que soulignait, la semaine précédente, la politologue Anne Muxel : "Il est totalement faux de dire que les jeunes ne s'intéressent pas à la politique. Ils ne sont pas dépolitisés. Ce qui ressort souvent quand on discute avec eux c'est leur envie d'avoir des éléments pour comprendre les débats politiques et les enjeux politiques contemporains." Les échanges avec les collégiens et lycéens font aussi ressortir un besoin qu'on s'intéresse à ce qui les concerne et qu'on amorce leur réflexion avec leurs codes et via les réseaux sociaux sur lesquels ils se rendent au quotidien.
Les réseaux sociaux, première source d'informations
"On regarde pas souvent la télé, explique Ramatoulaye. C’est plus avec les réseaux que j’ai les informations." "Mélenchon sur TikTok il fait beaucoup de vidéos ou alors le Ministre des transports", commente Soraya... Dans un autre établissement scolaire, à quelques jours d'intervalle, des collégiens ont spontanément les mêmes remarques que les lycéens et citent les mêmes personnalités politiques : Jean Luc Mélenchon, ou "le Ministre des transports" qui "a un compte Tiktkok hilarant". "Il nous montre son métier en étant drôle", explique Anne-Marie. "Il y a aussi Emmanuel Macron qui a un compte TikTok. [...] Pour son image", commentent Emilie et Bader. "Alors que si c'est un président qui pose sa caméra en disant je vais signer pour qu'on ait un pont [...] je vais swiper directement." Swiper" : comprenez balayer l'écran pour passer à autre chose. Les formats courts et rythmés mettant en avant les personnalités politiques leur correspondent donc plus, avec cette réserve soulignée par Soraya : "En soi on n’a pas vraiment de repères, on n’arrive pas à différencier les uns des autres du coup c’est un peu compliqué..."
Le Ministre délégué aux transports est par exemple nettement identifié mais aucun des élèves n'est capable de donner son nom Jean-Baptiste Djebarri. Difficile aussi souvent pour eux de s'y retrouver dans les tendances politiques, les programmes. Ce qui ressort malgré tout de ces échanges avec les élèves est que cette approche ludique, légère, en apparence superficielle sur les réseaux sociaux est une porte d'entrée qui n'empêche pas, ensuite et par ailleurs, de creuser des sujets de fond d'actualité, d'en débattre et qu'ils y prennent plaisir.
"Est-ce que c’est vrai que l’activité des politiciens sur les réseaux sociaux peut avoir une influence sur les avis politiques de la tranche des 16-24 ans ?", demande Cyrine. Pour Anne Muxel, cette influence est évidente : "Dès l’instant où des hommes et des femmes politiques qui ont des propositions, qui s’engagent dans une bataille électorale, dès l’instant où des partis politiques mettent en avant des programmes et utilisent les réseaux sociaux qui sont devenus pour les jeunes comme pour les moins jeunes des vecteurs de communication, d'information, d’échanges importants, cela peut influencer les électeurs, les citoyens dans leurs choix, dans leurs réponses politiques, voire dans leur mobilisation, mais pas plus, pas moins que les médias classiques, les journaux, la télévision, la radio. Les supports médiatiques quels qu’ils soient sont là non seulement pour fournir de l’information mais par cette information sont susceptibles d’orienter les options politiques des citoyens."
La nécessité d'une éducation aux médias
Les spécificités des réseaux sociaux -formats très courts, déclarations ou données souvent relayées hors contexte, viralité- peuvent néanmoins contribuer à amplifier certaines désinformations. Or les discussions avec les collégiens et lycéens montrent qu'ils en ont conscience. N'y a t-il pas alors un risque d'accentuer une certaine défiance envers la classe politique?
"La clef de tout cela, répond Anne Muxel, c’est l’éducation. Apprendre à décoder l’information, à identifier d’où elle peut venir et autant que faire se peut de faire la part du vrai et du faux. Même si c’est plus difficile sur les réseaux sociaux , étant donné l’avalanche d’informations et du fait aussi qu’on peut se retrouver prisonniers d’algorithmes, enfermés dans des opinions que l’on peut penser comme plausibles alors qu’elles ne le sont pas. L'école notamment mais aussi les médias, le service public ont un rôle important à jouer d’information pour apprendre à utiliser les réseaux sociaux au mieux. "
Un droit de vote abaissé à 16 ans pour lutter contre l'abstention ?
"Est il vrai, demande Ramatoulaye, que l’abaissement de l’âge du droit de vote à 16 ans augmenterait l’intérêt des jeunes à la politique?" "Je pense et ai toujours dit que l’abaissement du droit de vote à 16 ans serait une bonne chose" répond Anne Muxel, "dans la mesure où dans cette responsabilisation dès le plus jeune âge vis-à-vis des questions politiques, des enjeux qui engagent un pays et un vivre ensemble collectif sur cette planète, dans un contexte aussi où les jeunes sont de fait plus informés, ce serait une bonne chose de leur permettre d’exercer cette responsabilité et d’être reconnus comme des citoyens électeurs légitimes."
Anne Muxel rappelle que les arguments qu’on entend parfois, mettant en avant le fait que les 16-18 ans ne seraient pas assez mûrs, assez autonomes dans leurs choix, sont les mêmes arguments qu’on entendait lors de l’abaissement du droit de vote de 21 ans à 18 ans en 1974. La politologue pointe aussi le fait que les jeunes, même s'ils sont très exposés aux fake news, sont sans doute mieux armés que beaucoup d'adultes pour les détecter, par leur expérience des réseaux sociaux et du fait de l'éducation aux médias dont ils bénéficient.
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