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Les choix éditoriaux de franceinfo

Comment la rédaction choisit ses sujets, la manière de les traiter ? Matthieu Mondoloni, directeur adjoint de la rédaction de franceinfo répond aux questions des auditeurs au micro d’Emmanuelle Daviet.

Article rédigé par Emmanuelle Daviet
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
La poursuite de la couverture de la guerre en Ukraine. Sujet de nombreux courriers des auditeurs pour la médiatrice des antennes de Radio France.  (CHRISTOPHE ABRAMOWITZ)

Lundi dernier, 9 mai, le porte-parole de l’ambassade de Russie a été interviewé dans la matinale et des auditeurs écrivent. Je les cite : "J’ai trouvé insupportable qu’on laisse un tel espace médiatique à de telles propagandes. Le devoir d’information et d’impartialité n’est pas une autorisation à tout diffuser. Le pluralisme ne peut justifier un traitement impartial de l’information russe et la diffusion de mensonges éhontés. La libre expression n’a pas sa place en Russie. La démocratie mérite qu’on la respecte davantage et la radio publique n’est pas un réseau social."

Emmanuelle Daviet : Que répondez vous à ces remarques ?

Matthieu Mondoloni : Qu’elle soient ambivalentes, mais je peux comprendre que là aussi, l’auditeur ait été choqué par cette interview. Mais c’est justement parce que nous sommes impartials que l’on se doit de donner la parole à tout le monde, et d’entendre différents points de vue. Ça ne veut pas dire, et je le rappelle, que nous y souscrivons, d’aucune manière. Et d’ailleurs, Marc Fauvelle, qui a interviewé le porte-parole de l’ambassade de Russie, a fait son travail de journaliste, l’a mis face, parfois de ses contradictions, lui a demandé pourquoi il n’employait pas le mot guerre.

Il faut aussi savoir que le porte-parole était invité dans un cadre très spécifique, c’est-à-dire cette date du 9 mai qui n’est pas anodine puisque, en Russie comme dans des pays anciennement d’Union soviétique, cette date est importante puisqu’elle célèbre la victoire justement de l’Union soviétique sur le nazisme, et qu’il y avait un défilé ce jour-là en Russie. Donc on avait fait ce choix d’avoir le porte-parole de l’ambassade de Russie. Mais comme à 6h40, une heure plus tôt, on avait la vice-Première ministre ukrainienne en charge des Affaires européennes, puisque cette date est aussi la journée de l’Europe.

Précisément, on parle du 9 mai et on poursuit avec ce message : "J’aimerais connaître l’intérêt éditorial de couvrir le défilé militaire russe du 9 mai. C’est inédit. Et à part galvaniser les soutiens de Vladimir Poutine, je ne comprends pas pourquoi on donne autant de lumière sur ce gouvernement dans le contexte actuel", nous dit un auditeur.

Comment justifiez vous ce choix éditorial ?

On l’a déjà couvert par le passé, mais là ou l’auditeur a tout à fait raison, pas de la même manière, c'est dire qu’on a pu faire des reportages qui étaient diffusés après le dit défilé, notamment le défilé dit des Immortels en Russie, qui était un défilé assez important. Là, on a choisi de le faire avec des directs plus réguliers de la part de notre correspondant permanent, Sylvain Tronchet, sur place. Tout simplement en raison de ce contexte très particulier qui est celui de la guerre en Ukraine.

On savait que Vladimir Poutine voulait faire de cette journée et de ce défilé une démonstration de force. Il devait y avoir beaucoup de militaires qui défilaient devant lui, des avions qui finalement n’ont pas pu passer en raison de la météo, dit le Kremlin. Voilà donc ils voulaient impressionner l’Occident notamment. Donc il s’agissait de regarder ça, mais là encore de façon totalement objective, pour pouvoir le raconter à nos auditeurs.

On termine avec un sujet qui revient assez régulièrement dans les courriels des auditeurs. Je vous lis un message qui résume bien la teneur de ce que nous recevons : "Je ne comprends pas pourquoi les journalistes n’utilisent pas le terme d’extrême gauche quand ils parlent de La France insoumise, le parti de Jean-Luc Mélenchon, à la différence de l’extrême droite, expression qui très souvent qualifie le nom du parti de Marine Le Pen."

C’est une remarque très fréquente depuis plusieurs mois. Matthieu Mondoloni, quelles sont les consignes à ce sujet ?

Déjà, je veux dire que ce ne sont pas des consignes que nous avons pris seuls, nous journalistes, en raison de biais idéologiques. Évidemment que non. Ce sont les spécialistes, les docteurs en sciences politiques, qui vont décomposer l’échiquier politique dans le pays, et qui vont classer des partis de l’extrême droite à l’extrême gauche.

Il existe une extrême gauche française, c’est une extrême gauche qui en général défend des théories qui vont être : la révolution dans la rue et pas seulement par les urnes, voire pas du tout par les urnes, des partis anti-capitalistes etc etc qui sont classés à l’extrême gauche.

Pourquoi l’extrême gauche n’est pas un qualificatif retenu pour le parti de Jean-Luc Mélenchon ou la France insoumise ? Tout simplement parce que c’est ce qu’on appelle la gauche radicale. En sciences politiques pourquoi radicale, par exemple, le programme de Jean-Luc Mélenchon est beaucoup moins radical que celui de François Mitterrand en 1981, il y avait beaucoup moins de choses qui pouvaient être qualifiées de radicales dans ce programme. Donc oui, la gauche radicale, c’est le parti de Jean-Luc Mélenchon, ce n’est pas l’extrême gauche, ce n’est pas moi qui le dis, je n'y suis pour rien.

Et après, sur l’extrême droite, ça c’est encore autre chose. Et j’ai regardé notamment Nicolas Lebourg, qui est un spécialiste de l’extrême droite française, qui est invité parfois sur franceinfo et sur d’autres antennes du groupe Radio France, il définit très bien ce qu'est l’extrême droite, c’est à l’extrême droite en fait, c’est des partis qui vont définir le "eux" contre "nous". Il y a toujours un ennemi qui peut être un ennemi de l’intérieur, mais très souvent de l’extérieur, et qui va remettre en cause le bloc de constitutionnalité ; dans ces programmes, finalement, on va vouloir mettre un terme à la séparation des institutions, la séparation des pouvoirs, etc.

Donc ce sont des fondamentaux et c'est comme ça qu'est définie l’extrême droite. Marine Le Pen, on le sait refuse ce qualificatif. Il n’empêche que dans certains aspects de son programme, il y a toujours ces points-là.

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