Cet article date de plus d'onze ans.

Syrie : Tartous, la ville fidèle à Bachar al-Assad

Si les rebelles prenaient le pouvoir à Damas, Bachar al-Assad pourrait se replier dans une ville portuaire: Tartous. L'envoyée spéciale de France Info, Valérie Crova, y a passé une semaine. Reportage.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
  (©)

Pour aller à Tartous, qui est située sur la côte
méditerranéenne, il faut faire trois heures de route depuis Damas et passer de
multiples barrages érigés par l'armée régulière. La région est un
véritable gruyère militaire avec des zones contrôlées tour à tour par les
rebelles et l'armée de Bachar al-Assad.

A chaque barrage, les militaires
contrôlent votre passeport et votre identité. Cela peut prendre du temps surtout
quand vous avez un passeport français. Pour patienter, on vous offre du mathé,
cette infusion que l'on boit beaucoup en Syrie.  Les officiers se montrent courtois. Ce n'est
pas courant de voir une journaliste française s'arrêter à un check point. Nous
engageons la conversation de façon informelle. Ils veulent me montrer que les
soldats qu'ils ont sous leurs ordres viennent de toutes les villes de Syrie et
de toutes les confessions religieuses. Pour eux, la lecture faite en Occident de
ce qui se passe en Syrie est fausse. Il n'y a pas une armée composée uniquement
de soldats alaouites, la même confession de Bachar el Assad et donc fidèles à
leur président. Il y a aussi des musulmans sunnites et des chrétiens qui se
battent au sein d'une même armée unie, disent-ils.

Portraits géants de Bachar al-Assad et de son frère

Nous
arrivons à Tartous. Encore un check point et nous rentrons dans la ville.
Nous sommes accueillis par des portraits géants de Bachar al-Assad, et de son frère cadet, le très redouté Maher qui dirige la
4e division de l'armée syrienne, cette unité à la pointe de la
répression depuis 20 mois.
Au détour d'une rue, nous voyons une chaussure de
soldats dans laquelle une fleur a été plantée. Cette rue a été rebaptisée la rue
des martyrs. Elle débouche sur un square où sont placardées des photos des
jeunes de Tartous morts au combat. Un homme, d'une quarantaine d'années, passe
devant nous. Nous lui demandons s'il est prêt à rejoindre les rangs de l'armée
syrienne qui dit- on, fait appel depuis peu à des réservistes dans les régions
alaouites fidèles au régime en place. Cet homme nous explique qu'il est prêt à
partir tout de suite, que deux de ses frères sont déjà engagés dans l'armée pour
défendre leur pays.

Notre conversation à peine terminée, une voiture s'arrête
à notre hauteur. Deux hommes en descendent. Ils nous demandent nos papiers.
Après un coup de fil aux autorités locales, nous sommes autorisés à repartir.
Notre interlocuteur de tout à l'heure revient vers nous. Il nous explique que
c'est lui qui a appelé la sécurité, que dès qu'une personne extérieure à la
ville arrive, tous les habitants de Tartous sont au courant, que c'est le seul
moyen d'être en sécurité aujourd'hui alors que les combats font rage à quelques
dizaines de kilomètres seulement.

A Tartous, les gamins jouent au foot dans les rues, les
amoureux se promènent sur la corniche. Difficile ici d'imaginer qu'on meurt tous
les jours en Syrie.

Cette ville de 800.000 habitants est l'un des fiefs de la
communauté alaouite. Pas étonnant donc que l'on ne jure que par Bachar al-Assad.
Un avocat d'affaires accepte de me parler. "Pour le moment c'est le seul
président de la Syrie, et en réalité c'est le seul qui pourra de nouveau réunir
les syriens. Vous avez vu les opposants de l'extérieur ? Il n'y a rien, rien,
quel est l'homme d'Etat parmi eux ? On pourrait accepter un autre président que
Bachar al-Assad, on n'a pas de problème.  Le problème de la Syrie ce n'est pas
Bachar al-Assad. Bachar al-Assad est un citoyen syrien comme n'importe quel
autre, Bachar al-Assad n'a pas de problème à quitter le pouvoir. Mais la
question c'est pour laisser la place à qui ?
"

La communauté alaouite veut appartenir à une "Syrie unie"

Mal connus, les alaouites représentent aujourd'hui
environ 10% de la population syrienne. Ils ont toujours été à la marge de
l'Islam. Les femmes ne portent pas de voile par exemple. Les alaouites peuvent
boire de l'alcool. Et puis ils croient à la transmigration de l'âme, et à la
réincarnation ce qui en a fait des sortes d'hérétiques aux yeux de beaucoup
d'autres musulmans. Pendant longtemps, les alaouites ont été opprimés notamment
à l'époque ottomane. Leurs femmes et leurs filles étaient vendues comme des
esclaves. C'est ce qui a forgé leur complexe de minorité que l'on retrouve
d'ailleurs quand on parle avec les vieux alaouites.

En cas de chute de Bachar al-Assad, certains évoquent la
possibilité de la création d'un Etat alaouite. Tous ceux auxquels j'ai posé la
question sont catégoriques : ils ne veulent absolument pas vivre séparés du
reste de la Syrie. "Le président n'est pas
d'accord et nous aussi, en tant que peuple, on est  contre. Moi, je ne peux pas vivre sans Homs,
Damas ou Alep, et l'enfant de Damas ne peut pas vivre sans Tartous ou Lattaquié.
On n'y pense même pas, cette idée ne traverse même pas notre esprit. C'est
impossible, impossible, impossible, impossible, la Syrie restera unie un point c'est tout
".

Entre le déni de ce qui se passe sur
le terrain et leur soutien indéfectible à leur président, les alaouites se
retrouvent aujourd'hui marginalisés et en position de défense. Ils sont persuadés que Bachar al-Assad restera
au pouvoir jusqu'aux prochaines élections présidentielles prévues en principe en
2014. 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.