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Quand l'ADN permet de résoudre de très vieilles enquêtes

Grâce au Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques, l'un de ses agresseurs présumés d'Elodie Kulik, tuée il y a 10 ans, a été identifié. L'occasion de s'intéresser à ce supermarché de l'ADN qui ne cesse d'être alimenté.
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1.950.647. C'est le nombre d'ADN recensés fin 2011 dans le FNAEG. Près de 2 millions
de codes barres précieusement stockés par la police technique et scientifique.
L'année dernière, 340 000 nouveaux profils génétiques y ont été enregistrés.
Des ADN connus, prélevées sur des personnes impliquées dans une affaire. Des
ADN inconnus aussi, trouvés sur des scènes de crime ou de délit.

340 000 nouveaux profils
génétiques, cela parait énorme, c'est pourtant la norme depuis quelques années.
Le prélèvement d'ADN est en effet devenu systématique pour certains. Comme pour
le Service Local de Police Technique et Scientifique de Mantes la Jolie dans
les Yvelines. Là bas sur 90 % des affaires, on se déplace avec un kit de prélèvement,
un écouvillon notamment, sorte de gros coton tige. Instrument qui ne quitte
jamais le policier Arnaud Desdoits. C'est "l'outil qu'on utilise le plus
fréquemment" explique-t-il. Instrument "indispensable
" que le
policier a utilisé 4 fois ce jour là. Dans une voiture abandonnée par son
conducteur: prélèvements sur le volant, le pommeau de vitesse, une poignée de
porte. Arnaud Desdoits l'admet: "C'est du prélèvement de masse ".
Mais du prélèvement nécessaire d'après lui. "C'est ça qui nous
motive
" raconte le policier, "l'identification potentielle d'une
personne à partir d'un frottement sur un objet...C'est pas magique, c'est
scientifique"
.

Grâce au fichier, des
affaires élucidées 25 ans après les faits

Car une fois les
prélèvements effectués, c'est direction le laboratoire et le fichier des
empreintes génétiques pour tenter de mettre un nom sur cet ADN. On attend que
ça "matche" disent les policiers.

Et l'année dernière ça a
matché. On a compté près de 14.000 rapprochements. 14.000 fois l'ADN entré dans
le fichier a correspondu à un ADN qui y figurait déjà. Cela veut dire
potentiellement du nouveau dans une affaire voire une élucidation.

Et parfois des années après
les faits. Exemple avec le rebondissement récent dans l'affaire Elodie Kulik,
cette jeune directrice d'agence bancaire violée et tuée dans la Somme en 2002.
Un préservatif et un mégot avaient été retrouvés près du corps de la victime.
Malgré plusieurs milliers d'expertises ADN, ça ne donne rien, jusqu'au mois
dernier. Grâce à la technique dite de l'ADN apparenté - on recherche dans le
fichier un ADN proche de celui relevé sur le lieu du crime, une première dans
une affaire criminelle - l'agresseur présumé d'Elodie est confondu. Il s'agit
d'un jeune homme, mort quelques mois seulement après l'agression.

Autre exemple frappant:
l'affaire Angélique. C'était en 96 dans l'Oise, une jeune fille, Angélique, est
également violée et tuée. Des traces de sperme sont prélevées sur son corps
mais rien...jusqu'à l'année dernière. L'ADN d'un homme arrêté pour violences
conjugales est ajouté au fichier. Et, surprise, c'est ce même ADN qui a été
retrouvé sur la scène de crime 15 ans auparavant. On tient le meurtrier présumé
d'Angélique. Un aboutissement pour sa mère Marie-Pierre Mazier qui n'a jamais
douté: "Je me disais toujours: un jour le fichier va parler. Et on a
réussi à l'avoir, parce qu'il frappait sur sa femme! Tous les jours on voit
dans les journaux: 20 ans après, 25 ans après...on les retrouve! grâce au
fichier".

Marie-Pierre Mazier : "Il
faudrait que nous soyons tous fichés"

Du coup, Marie-Pierre
Mazier milite pour une généralisation des prélèvements ADN. La liste des
infractions qui donnent lieu à un prélèvement a pourtant été considérablement
élargie. A la création du fichier, en 1998, seuls les délinquants sexuels
définitivement condamnés pouvaient être fichés. Aujourd'hui, c'est le cas
depuis 2003, on peut prélever de l'ADN sur un cambrioleur, un faucheur d'OGM,
un proxénéte, un escroc, un casseur, un voleur...cela concerne près de 140
infractions. Les condamnées et les suspects à partir de 13 ans. Beaucoup, mais
pas suffisant pour Marie-Pierre Mazier qui envie les britanniques. Au
Royaume-Uni, le fichier des empreintes génétiques est au moins 2 fois plus
fourni qu'en France. "Si on prélevait les chauffards, ce serait déjà bien
mieux
" explique la mère d'Angélique - elle a d'ailleurs interpellé les
candidats à la présidentielle à ce sujet.

Ce qu'elle souhaite, à
terme: "Que tout le monde soit fiché, dès la naissance ". Ainsi,
d'après elle, José Mendes Furtado, le meurtrier présumé de sa fille, qui s'est
suicidé très vite après son prélèvement, n'aurait pas échappé à la police.
"Si on était tous dans le fichier, et bien c'est sur que Furtado, on
l'aurait retrouvé tout de suite"
, soupire Marie-Pierre Mazier.
"J'aurais pas eu 15 ans de combat, de fatigue, de nuits passées à ne pas
dormir. Il aurait pu me donner toutes les réponses aux questions que je me pose
depuis 15 ans. C'est important pour les familles".

Syndicat de la Magistrature :
"Une alimentation de masse dangereuse"

Ficher tout le monde? La
proposition fait hérisser le poil de beaucoup et notamment de Matthieu
Bonduelle, magistrat, président du Syndicat de la Magistrature. Pour lui, on
alimente déjà beaucoup trop le fichier. "Dans une démocratie, il y a un
équilibre à respecter entre la recherche légitime des auteurs d'infraction et
le respect des libertés individuelles
" explique-t-il. "Ca n'est pas
neutre de mettre le profil génétique de quelqu'un dans un fichier pendant 25
ans - quand il est mis en cause - ou 40 ans - quand il est condamné. On ne sait
pas de quoi demain sera fait. On ne sait pas quelles erreurs peuvent être
commises dans l'enregistrement, dans la gestion, dans l'exploitation de ce
fichier". Ainsi, Mathhieu Bonduelle comprend "les militants qui, pour
des infractions très peu graves - fauchage d'OGM, action anti-publicité par
exemple - ne veulent pas se retrouver pendant 25 ou 40 ans dans le même fichier
que Michel Fourniret"
.

Mathieu Bonduelle qui a
récemment tenu à témoigner en faveur d'un ancien syndicaliste CGT. Arrêté pour
le saccage d'un bâtiment public, il a refusé que l'on prélève son ADN. Sauf que
c'est illégal. Il vient d'être condamné à 1200 euros d'amende.

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