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Deux ans après, que sont devenus les Indignés espagnols?

Journée spéciale consacrée aux Indignés sur France Info ce mercredi. Il y a deux ans jour pour jour, ce mouvement naissait à Madrid. Il allait faire des émules en Europe et au-delà. Alors que la crise n'a jamais été aussi profonde de l'autre côté des Pyrénées, une question se pose : que sont devenus les Indignés espagnols?
Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Les Indignés manifestent toujours.
On les a encore vus ce dimanche sur la Puerta del sol, là où tout a
commencé. Mais au delà, ce mouvement qu'ici on appelle plutôt le
mouvement du 15 mai
, s'est dilué dans l'opinion espagnole. C'est un phénomène
assez unique.

Dans le moindre quartier, se tiennent des assemblées citoyennes
quasiment chaque semaine. Une partie de la population s'organise en collectifs pour
faire face à la crise. Rappelons qu'en Espagne : le chômage atteint 27 %, et
même 50 % chez les jeunes. Le salaire minimum est de 650 euros.

Des assemblées citoyennes dans le moindre quartier

L'un de ces collectifs, né il y a un
an, s'appelle le "bureau des précaires ". Il entend aider les salariés en
difficulté : par exemple ceux qui sont licenciés pour cause d'arrêt maladie, ou d'un congé maternité, ceux - nombreux -  qu'on
emploie au noir, ou encore ceux qui occupent des emplois déguisés en stages non
rémunérés.

L'accompagnement est une chose mais ce bureau des précaires s'est
donné aussi pour mission de dénoncer tout haut, très fort les abus. "Le
niveau de chômage est tel que les droits des travailleurs sont tirés vers le
bas. Les patrons en profitent. Alors, nous on a trois moyens de dénoncer : les
procès au pénal, les procès aux prud'hommes mais surtout, plus
facile et plus rapide : mettre la honte publiquement aux patrons voyous. On les
montre du doigt sur les réseaux sociaux où on est très suivis. On prévient la
presse quand on sait par exemple qu'ils emploient des salariés au noir. Le but
c'est de leur faire peur, et ça marche parce qu'ils craignent pour leur
image
", raconte Abel 25 ans.

Cet étudiant en gestion donne beaucoup de son
temps à ce bureau des précaires. "Celles que nous montrons du doigt sont
souvent de grandes entreprises ! Les secteurs où on fait le plus d'opération
"dénonciation" comme cela sont les services, la construction, le tourisme et
les discothèques
", ajoute-t-il assez fier du succès de cette plateforme. La
semaine dernière, ce bureau des précaires a fait réintégrer dans son entreprise
une jeune femme licenciée pour avoir participé à une grève.  Dans
son entreprise, il n y avait pas de syndicats.

 Le drame des expropriations

Autre problème concret auquel
s'attaquent ces collectifs nés du mouvement des Indignés : celui des
hypothèques. Avant la crise, des centaines de milliers d'Espagnols ont acheté
des logements à crédit, ont ensuite perdu leur emploi et ne peuvent plus
rembourser. L'an passé, 40 000 expropriations ont eu lieu dans le pays.

Ce sont
en fait les banques qui récupèrent les logements, souvent pour 60 % du prix
d'achat. C'est un drame pour les familles concernées, terriblement endettées :
elles seraient 1.500.000 !

La PAH est la plateforme issue des Indignés
qui aident ces familles en Catalogne, en Andalousie, mais aussi à Madrid. "Notre principal objectif , c'est de faire
comprendre aux personnes surendettées à cause de crédits immobiliers qu'elles ne
sont pas responsables. Quand elles viennent nous voir, elles sont rongées par la
honte, alors que c'est un problème collectif, une arnaque nationale
"
s'insurge Reme, 56 ans, bénévole de la PAH dans la banlieue de Madrid.

"Nos
avocats accompagnent les personnes aux rendez-vous  à la banque
pour vérifier qu'on les respecte, qu'on ne les insulte pas parce que c'est
courant ! Ils tentent un dialogue. Et si ça ne fonctionne pas, on organise des
sit-in devant les agences bancaires pour dénoncer ces voleurs.

Chaque semaine,
nous nous enchaînons aussi dans des appartements pour empêcher les expulsions
par les huissiers. Et dans de nombreux cas, ça fonctionne
 ", explique la
quinquagénaire en colère.

Reme parle d'un nombre croissant  de suicides de personnes
surendettées à cause de crédits immobiliers.

Pour citer quelques uns des autres
collectifs nés du mouvement espagnol du 15 mai : il y a celui des
"seniors indignés ". Celui de ceux qui ont perdu leur couverture maladie. Se créent
aussi des centres sociaux basés sur le troc et l'échange de
services.

Plus
étonnant encore : certains indignés viennent de créer un tribunal.  Le tribunal
citoyen populaire qui en six mois compte déjà des milliers de bénévoles :
avocats, comptables, secrétaires, chômeurs. Leur but ? "Faire payer la crise
aux vrais responsables" disent-ils.

Le tribunal des indignés

"Ce
qu'on prétend faire c'est investiguer sur les liens obscurs entre la politique
et la finance. Nous cherchons des preuves sur ces personnes corrompues qui nous
ont propulsé dans la crise et qui doivent répondre de leurs actes. D'abord nous
rassemblons tous les documents pour fournir  aux vrais tribunaux
officiels des dossiers solides. Et par ailleurs pour la symbolique, nous
organiserons de faux procès sur les places publiques pour faire savoir qui -
selon nous - doit être poursuivi
" explique, très véhémente,
 Cécilia 39 ans.

Cette bibliothécaire a choisi de s'investir dans
ce tribunal au nom dit-elle d'une valeur dont on a beaucoup parlé ces dernières
semaines en France : la transparence. À terme ,ce tribunal populaire, quasi
révolutionnaire espère faire comprendre que la dette publique n'est pas si
publique que ça.  

Et que ceux qui l'ont provoqué doivent la
rembourser eux-mêmes. En ligne de mire : évidemment les banquiers, les anciens
responsables politiques, et tout le monde de la finance. "C'est un processus
qui sera très laborieux mais on s'accroche
", confie Cécilia. Les poursuites
judiciaires, cela coûte de l'argent. Mais ça ne semble pas être un problème pour
le tribunal populaire. En quelques jours avec un simple appel aux
dons sur le net, il a recueilli plusieurs dizaines de milliers d'euros.

Ils refusent tout rapprochement avec
les syndicats ou partis politiques

Les indignés bénéficient au sein de
la population d'un capital sympathie important. "Les groupes, les campagnes,
les actions se sont multipliés énormément en 2 ans. Rien à voir avec le début !
 Ce mouvement du 15 mai a changé la mentalité des espagnols qui
prennent maintenant conscience de leur possible rôle pour changer la situation.
Les gens ont plus d'avis sur les partis politiques, sur l'Europe. Il y a bien
plus de débat, et aussi plus d'actions concrètes menées dans une grande
solidarité avec l'esprit d'une désobéissance civile
", analyse Miguel Angel
martinez, professeur de sociologie spécialiste des mouvements sociaux à
l'université de Madrid.

"Dernièrement, on a vu naître aussi des coopératives
créées par des personnes sans emploi notamment en Andalousie. Dans ce mouvement
des indignés, il y a une structure horizontale, il y a certes des leaders mais
pas reconnus comme tel. Les chefs ça n'est pas le plus important dans ce
mouvement
", note l'enseignant chercheur.

Autre
particularité de ces collectifs d'indignés, ils refusent tout rapprochement avec
les syndicats ou partis politiques traditionnels. Ils revendiquent une grande
indépendance , une liberté au service de la démocratie participative. Et petit à
petit, certains obligent même le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy à
quelques concessions : grâce à des pétitions signées par plus de 500.000
personnes, ils parviennent – la constitution le permet – à mettre de vraies propositions de loi à l'agenda des députés.

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