Cet article date de plus de trois ans.

Pologne et Union européenne : le divorce, acte 1

L'Union européenne tremble sur ses fondations. La Pologne ne reconnaît plus la suprématie absolue du droit européen, en jugeant certains traités contraires à sa propre constitution. Le principe même de la construction européenne est remis en cause par Varsovie.

Article rédigé par franceinfo, Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Les drapeaux polonais et européens. (KENZO TRIBOUILLARD / AFP)

Imaginez l'Europe comme un immeuble qui se serait construit dans les années 60 avec d'emblée un règlement de copropriété très clair : quand le syndic prend une décision, tout le monde doit l'appliquer. C'est la primauté du droit européen sur les droits nationaux. D'année en année, la vie s'est organisée, notre immeuble a gagné quelques étages et quelques copropriétaires supplémentaires, parfois turbulents et pas toujours respectueux des parties communes. Aujourd'hui, l'un d'entre eux, la Pologne, met un grand coup de canif dans le règlement.

La plus haute juridiction polonaise a déclaré jeudi 7 octobre que certains articles du traité de l'UE étaient "incompatibles" avec la Constitution du pays. Varsovie dit : "Non, en fait, on ne voit pas pourquoi ce serait à Bruxelles de décider !" À travers la décision de son tribunal constitutionnel, la Pologne conteste par exemple les décisions de la Cour de justice européenne, qui s'apparentent selon elle à de "l'ingérence" dans le système juridique polonais. Et juge "anticonstitutionnels" certains articles des traités de l'Union européen.

Vers un "Polexit" juridique ?

Est-ce que cela veut dire que la Pologne est prête à déménager, à quitter l'immeuble de l'Union européenne, comme l'a fait le Royaume-Uni ? On n'en est pas là, mais cette prise de position du tribunal constitutionnel polonais rapproche clairement le pays d'un "Polexit législatif", épouvantail brandi de longue date par l’opposition démocrate.

Ce "Polexit" serait paradoxal car l'opinion publique est majoritairement pro-européenne, les Polonais soutiennent à plus de 80 % l’appartenance à l’Union, à laquelle ils ont adhéré en 2004. Dès jeudi soir, plusieurs dizaines de manifestants se sont rassemblés à Varsovie devant le tribunal constitutionnel pour dénoncer cette position.

Des réactions indignées

La décision de la justice polonaise constitue une "attaque contre l'Union européenne", a estimé vendredi le secrétaire d'État français chargé des Affaires européennes, Clément Beaune.  

"Quand un pays décide politiquement de faire partie de l'UE, il doit également veiller à ce que les règles convenues soient pleinement appliquées", ajoute le chef de la diplomatie allemande, Heiko Maas. De son côté le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, assure que le gouvernement polonais "joue avec le feu" et pourrait provoquer "une rupture" avec l'Union européenne.

Un scénario attendu

Pourtant, personne n'est vraiment surpris par cette décision : depuis 2015 et l'arrivée au pouvoir d'un parti conservateur, nationaliste et europhobe, Varsovie multiplie les démonstrations de défiance vis-à-vis des institutions européennes. Le parti Droit et justice (PiS) a déjà pris plusieurs mesures très controversées contre la liberté de la presse ou les droits des LGBT. La Cour de justice européenne ne cesse de multiplier les arrêts défavorables à Varsovie. Elle a par exemple demandé la suspension de la réforme de son système judiciaire qui menace l'indépendance de la justice et porte atteinte au respect de l'État de droit. Varsovie n'en a pas tenu compte.

Frapper au porte-monnaie

Que peut faire Bruxelles ? La Commission, qui est la gardienne des traités, n'a pas beaucoup d'options pour tordre le bras des Polonais. Elle peut toujours porter l'affaire devant la Cour de justice, mais la procédure prendrait des années. En revanche, ce qu'elle peut faire, c'est frapper au porte-monnaie. D'ailleurs, elle n'a toujours pas validé le plan de relance de la Pologne. Or, sans l'accord de Bruxelles, Varsovie devra faire une croix sur quasiment 24 milliards d'euros de subventions et 34 milliards d’euros de prêts bon marché. La Pologne est l'un des principaux bénéficiaires de ce plan de relance mis en place pour aider les pays à se remettre de la pandémie. C'est du chantage? Oui. Mais c'est le seul moyen de ne pas laisser s'effondrer la maison Europe.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.