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En Arménie, une armée qui gronde et un Premier ministre dans la rue

Le pays est secoué par une crise politique. Le Premier ministre Nikol Pachinian a dénoncé jeudi une "tentative de coup d'État".

Article rédigé par franceinfo, Elise Delève
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3min
Le Premier ministre Nikol Pashinyan pendant la manifestation de Yérévan (Arménie), le 25 février 2021. (KAREN MINASYAN / AFP)

Tout s'est passé très vite. En début de semaine, l’adjoint du chef d’État-major des armées se moque de Nikol Pachinian dans la presse. Il est limogé sur le champ. En réaction, le chef d'État-major demande la démission du Premier ministre qu'il ne juge "plus en mesure de prendre les décisions qui s'imposent". Près de 40 officiers supérieurs de l’armée signent un communiqué réclamant le départ du premier ministre accusé "d’erreurs" qui auraient  "mis le pays au bord de l’effondrement (…). Les forces armées ont longtemps toléré les attaques du gouvernement actuel visant à discréditer l’armée, mais tout a ses limites." C'est ce que Nikol Pachinian appelle une "tentative de coup d'État." Il renvoie le chef d'État-major.

Comment en est-on arrivé là ? À cause d’une guerre perdue. L'Arménie, et donc son Premier ministre, ont essuyé une énorme défaite militaire lors de la guerre contre l'Azerbaïdjan dans l’enclave du Haut Karabakh en octobre dernier. 6 000 morts, une ville symbole et des territoires perdus contre l’adversaire de toujours. Face à une armée bien mieux équipée (et soutenue par la Turquie, ennemie jurée) Nikol Pachinian est obligé de signer un cessez le feu après six semaines de combat. Il refuse alors de démissionner. Dans la rue la colère gronde, l'opposition le considère comme un "traitre".

Le Premier ministre affirme qu'il n'a pas causé la défaite. Il rejette la faute sur tous les autres : l'armée, les hauts gradés, son allié la Russie, à la recherche frénétique d'un responsable.

Même s'il s'était fait plus discret ces derniers mois, depuis qu'il est au pouvoir, Nikol Pachinian dirige le pays via Facebook, toujours en live pour commenter. Et c'est toujours la même stratégie : dès qu'il y a une fronde, il fait une vidéo Facebook pour appeler au rassemblement et une manifestation à laquelle il participe a lieu. Ca s'est vérifié jeudi 25 février, il dénonce le coup d'État et quelques heures plus tard, il harangue la foule de supporters, 20 000 Arméniens devant lui. Nikol Pachinian, c'est un politicien de rue, c'est là qu'il puise son énergie et sa légitimité.

Pas de sortie de crise en vue

La situation semble bloquée. L'opposition est morcelée : 17 partis. Et discréditée : elle est composée d'anciens responsables politiques à la mauvaise réputation. De plus, une grande partie de la population soutient Nikol Pachinian. Il a réussi à réunir en trois heures, autant de partisans que ses opposants ne l’ont fait en trois mois. Selon un récent sondage Gallup, 33,1% d’entre eux voteraient pour son parti en cas d’élection, contre entre 1 et 4% à ses principaux opposants.

Nikol Pachinian, 45 ans, conserve une aura construite pendant la révolution de velours de 2018. Un vent d'espoir, une tornade d'espérance avait soufflé sur toute l'Arménie. L'ancien journaliste, héros populaire, était parti en croisade pacifique contre la corruption. Depuis qu'il est élu, ce réformiste a boosté la croissance du pays, jusqu'à la crise du Covid. Aujourd'hui, il promet à tous les parents que leurs enfants ne retourneront jamais faire la guerre au Haut Karabagh, même si la situation est instable. Mais il dirige seul. Il dirige fort. Sans vrai contre-pouvoir, il a tous les pouvoirs. Une manière de gouverner qu'il avait pourtant combattue.

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