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Yasmina Reza : "Le fait même d'écrire est une quête du bonheur"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd'hui, l’écrivaine et dramaturge Yasmina Reza.

Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Yasmina Reza en mai 2014 (PASCAL VICTOR / ARTCOMART)

Yasmina Reza, femme de lettres, romancière et dramaturge, a reçu le prix Renaudot pour Babylone en 2016. Elle est aussi indissociable du cinéma et du théâtre, notamment avec sa pièce Art, traduite en 20 langues et mise en scène à Broadway, à Berlin, à Moscou ou à Londres. Son nouveau livre, Serge, est paru aux éditions Flammarion.

Elodie Suigo : Serge, c'est un roman qui raconte les liens qui unissent une fratrie composée de trois frères et sœurs. Le mot "mémoire" est au centre du récit...

Yasmina Reza : Oui, c'est un livre dans lequel je questionne beaucoup la mémoire, parce que c'est devenu une telle valeur, la mémoire, reconnue par tous. Ce mot m'interroge et n'est pas si évident pour moi.

Vous dites d'ailleurs : "Il n'y a rien à attendre de la mémoire, ce fétichisme de la mémoire est un simulacre."

Oui, quand ça devient un objet politique, comme c'est le cas aujourd'hui avec cette expression "devoir de mémoire", je n'en vois pas les contours. Je ne veux pas la critiquer complètement, parce que peut-être que je me la suis mal faite expliquer. Mais je ne comprends pas ce qu'elle recouvre et tout le monde semble s'accorder sur le bienfait du devoir de mémoire. Moi, je crois que ça ne nous préservera de rien et que c'est une bonne conscience facile qui permet de tout bien lisser dans l'histoire et dans les livres.

Le centre de l'ouvrage est consacré à une visite incroyable à Auschwitz. Vous prenez beaucoup de recul.

C'est intéressant, parce que le mot Auschwitz aujourd'hui ne recouvre pas du tout ce que ça recouvrait auparavant. Cela n'a strictement rien à voir, cet Auschwitz d'aujourd'hui qui a le même nom n'est pas du tout celui d'hier. Ce n'est pas une visite d'agrément à l'Auschwitz d'antan.

Que dire du mot "famille" ?

Pour moi, c'est une énigme, la famille. Ma famille était totalement non-conforme, elle ne ressemblait à rien et encore, ne ressemble toujours à rien de ce que je peux connaître de "famille". Je ne voyais pas ma mère faire des choses de mère. Mon père non plus. C'était très bizarre, ce mot de "famille".

Vous êtes issue d'une famille juive. Votre père était juif séfarade, mi-russe, mi-iranien et votre mère, violoniste juive de Hongrie, arrivée en France pour fuir le communisme. Comment avez-vous vécu cette mémoire, ce travail de mémoire au sein de votre famille ?

Il n'en avait pas du tout, parce que c'étaient des immigrés. Ils étaient de milieux très différents. Mon père était complètement inculte à la base, ma grand-mère, sa mère, ne savait ni lire ni écrire. En revanche, du côté de maman qui était Hongroise de Budapest, la famille était très intégrée. Mon grand-père était assez riche et ils étaient de la grande bourgeoisie hongroise. Mais et l'un comme l'autre avaient ce trait commun de ne vouloir rien transmettre de leur vie passée, de faire complètement table rase, d'être neufs au monde. Ce qui est très étrange et qu'on retrouve dans Serge, c'est que je n'avais, et je peux parler au nom de mes frères et sœur aussi, aucune curiosité. Aucune. On ne demandait rien. La seule chose qu'ils ont peut-être vraiment transmise, et étrangement, c'est l'amour de la langue française, puisqu'il fallait à tout prix qu'on s'intègre.

Que vous apporte l'écriture ?

Tout. Je pense que ça m'a sauvé la vie. Je ne vois pas trop comment j'aurais conduit ma vie autrement. Cela m'a délivrée de beaucoup de choses et aussi, évidemment, donné la chance que je puisse en vivre.

Je n'ai jamais confondu la qualité et le succès. Il se trouve que j'espère avoir fourni une certaine qualité et que le succès est venu.

Yasmina Reza

à franceinfo

Comment avez-vous vécu le succès ?

De façon perturbante. Au moment d'Art, c'était une sollicitation vraiment mondiale. Et puis je me suis calmée et ensuite, j'ai fait très attention à moi, à ne pas trop me déployer, à ne pas trop me montrer. J'ai cessé la télévision. Je suis très secrète, donc ça ne m'allait pas, l'aspect extérieur du succès. Je n'aime pas qu'on parle de moi. Je n'aime pas parler de moi. Je suis obligée de le faire, mais profondément, je n'aime pas du tout. J'ai toujours une sensation de bizarrerie, pour ne pas dire de léger écœurement. Tout ce que j'ai à dire, à montrer, à faire, c'est dans les livres.

Comment étiez-vous enfant, à quoi rêviez-vous ?

Je n'ai pas de très bons souvenirs de l'enfance. Je ne pense pas que c'était une période particulièrement heureuse dans ma vie. Mes parents ne s'occupaient pas beaucoup de nous. Ils vivaient leur vie. On était un peu... pas vraiment abandonnés, mais un peu quand même. J'ai l'impression que je ne vivais pas, que je ne vivais rien, que j'étais dans le sombre, dans l'interdit, dans la sévérité, sans beaucoup de confiance en moi. Et je me suis dit : "Il faut que ça change, ça ne peut pas être la vie, comme ça." Je ne dis pas ça sous forme de plainte, au contraire, ça m'a donné beaucoup de force, parce qu'une enfance peut aussi affaiblir. Moi, ça m'a renforcée de ne pas être très heureuse dans l'enfance.

Est-ce que ce travail d'écriture n'est pas là aussi et avant tout parce que c'est une quête vers le bonheur ?

C'est intéressant ce que vous dites parce que vous êtes la première au monde à me dire ça, parce qu'en général, on trouve mes livres très pessimistes. Il y a quelque chose de très juste dans ce que vous dites, c'est-à-dire que le fait même d'écrire est une quête du bonheur. J'espère le meilleur de ce que j'écris. J'espère que le renvoi sera de l'ordre du bonheur.

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