Salhia Brakhlia publie "Essentielles", un hommage aux femmes d’aujourd’hui qui travaillent dans l’ombre : "C'est un peu de moi, beaucoup d'elles"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Mercredi 20 décembre 2023 : la journaliste Salhia Brakhlia. Elle publie "Essentielles" aux éditions Clique - franceinfo.
Article rédigé par Elodie Suigo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Salhia Brakhlia, journaliste politique sur franceinfo. (franceinfo)

Repérée notamment à la télévision avec "Quotidien", Salhia Brakhlia est journaliste politique. Depuis trois ans, elle officie sur franceinfo, notamment avec la co-présentation de l'interview du 8h30. Le décryptage est l'une de ses spécialités, ce qui implique souvent un franc-parler très assumé.

Elle vient de publier Essentielles chez Clique Editions avec franceinfo, un livre issu de rencontres en tête-à-tête avec 13 femmes qu'elle a interviewées. Ces femmes exercent ce qu'on appelle des métiers de l'ombre, mais qui sont essentiels. Inconnues du grand public, elles sont surveillante pénitentiaire, caissière, chercheuse...

>> Il existe aussi une série à écouter en podcast : Essentielles .

franceinfo : Comment est née cette envie de mettre en lumière ces femmes de l'ombre ?

Salhia Brakhlia : Pendant la réforme des retraites, en tant que journalistes, on voyait remonter les informations sur le monde du travail et la place des femmes. Pour un même poste et le même temps de travail, la femme gagne moins qu'un homme. La femme, quand elle part en congé maternité, risque de perdre son emploi à son retour, tout du moins son poste, alors qu'un homme, lui, est considéré beaucoup plus responsable quand il devient papa et aura sûrement une évolution de carrière. Ce sont ces différences-là qui ont créé le déclic dans ma tête. Je me suis dit : "le covid, la réforme des retraites : les femmes souffrent trop".

Il y a 13 portraits, 13 femmes passionnées et donc passionnantes. Je voudrais qu'on parle d'Anne Fleury, elle est "éboueure", un travail à la base masculin. Elle montre du doigt quelque chose de très important en disant : " On n'existe que quand on arrête de travailler et, quand on s'arrête, on va chercher cette reconnaissance."

Il faut voir à quel point le regard des gens la touche. Elle ramasse les poubelles. 

"Vous avez des gens, dans la rue, qui la regardent avec dédain et disent à leur enfant : 'Tu vois, si tu ne travailles pas l'école, tu vas finir éboueur'."

Salhia Brakhlia

à franceinfo

Comme si en fait, ils l'assimilaient aux déchets qu'elle ramasse. Ça la touche et en même temps, elle est fière de ce qu'elle fait. Elle sait qu'en fait, si elle n'est pas là, on est littéralement "dans la merde". Toutes ces femmes ne demandent même pas la reconnaissance parce qu’elles sont déjà tournées vers les autres. Et quand je vais les chercher et que je leur dis : "Est-ce que je peux venir vous voir travailler et faire en plus une interview  ?" Elles demandent : "Pourquoi ? - "Parce que vous faites un métier essentiel." - "Ah bon, vraiment ?" Elles ne s'en rendent pas compte, c'est ça qui est fou.

Vous êtes née à Condé-sur-l'Escaut, un petit village dans le Nord. Vos parents sont originaires d’Algérie. Ils ont créé leur propre société de transport. Vous qui avez été élevée avec cette valeur du mérite, est-ce que cette envie de comprendre davantage l'autre, celui qui se lève le matin, a été ce moteur essentiel pour faire ce métier ?

J'ai le souvenir, étant enfant, que ma mère se réveillait très, très tôt, vers trois ou quatre heures du matin et qu'elle rentrait très tard. Elle me disait : "Il n'y a que comme ça qu'on arrive à faire sa place dans la société."

"Mes parents m'ont toujours dit, comme à tous mes frères et sœurs, que c'est par le travail qu'on arrive à s'insérer dans la société, qu'on trouve sa place."

Salhia Brakhlia

à franceinfo

Comme mon père, ma mère nous a transmis que c'est de cette manière qu'on arrive à se sentir bien, à construire sa vie. Moi, j'ai une chance folle, je fais le métier que je souhaitais faire depuis l'âge de 12 ans. Imaginez !

Revenons sur un événement. On est le 1er mai 2013. Vous êtes dans la rue, en train de faire un reportage et une sympathisante du FN vient vous voir. Elle vous dit : " Moi parler français, moi parler à toi" Ça vous a énormément touché. Est-ce que ça a été un élément fondateur pour vous, où vous vous êtes dit : " Je ne lâcherai pas" ?

Le truc le plus flagrant, qui m'a vraiment touchée, c'était un jour, quand je faisais un duplex. Des militants du Front national sont arrivés derrière moi. Sans s'adresser à moi, ils ont dit à mon équipe, à mon caméraman et à mon ingénieur du son : " Vous êtes en train de filmer une Arabe qui a volé le travail d'une Française". J'étais tellement choquée que je n'ai rien dit. J'étais vraiment sidérée. Et ce qui m'a fait plaisir, c'est que ce sont mes collègues qui, eux, ont pris ma défense.

"J'ai couvert plusieurs fois les 1er mai du Front national et à chaque fois, c'était d'une violence inouïe. Pas de la part des dirigeants parce qu'évidemment, la façade doit être propre, mais de la part des militants dans la rue, qui manifestaient."

Salhia Brakhlia

à franceinfo

Ce suivi de l'extrême droite, a posteriori, a été violent, même si j'ai beaucoup appris. Et vous avez raison, à ce moment-là, je me suis dit : "Je ne lâcherai pas". La meilleure des choses, c'est que, quand il y a, sur mon plateau du 8h30, Jordan Bardella, Marine Le Pen, je les interroge sur le fond, parce que la façade est toujours impeccable. C'est sur le fond, qu'on voit que le discours n'est pas tout à fait net.

Est-ce que ce n'est pas justement cette histoire que vous avez, qui vous appartient, qui permet de vous dire : " Voilà, sans les femmes, on n’en serait pas là".

Mais c'est totalement ça. C'est un peu de moi et beaucoup d'elles. Ça me permet de dire : " Regardez, ces parcours sont exceptionnels et il faut juste leur prêter un peu d'attention".

Retrouvez cette interview en vidéo :

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