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Romain Colucci : "Ce dont les gens souffrent après la précarité alimentaire, c’est de la solitude"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd'hui, l’invité est le fils aîné de Coluche et Véronique Kantor (Colucci), Romain Colucci. Plutôt discret dans les médias, administrateur et bénévole des Restos du coeur, il nous rappelle l'importance de la solidarité pour des millions de Français.

Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Romain Colucci à Paris en novembre 2019.  (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

Romain Colucci s’est donné pour mission de défendre la mémoire de son père et les Restos du cœur en font partie intégrante. Pas facile quand même de passer "derrière quelqu’un qui était hyper doué en communication et qui savait envoyer fort et viser le centre de la cible, confie-t-il. Les gens attendent quelque chose et tu as peur de décevoir." Il porte aussi désormais un autre héritage, celui de sa mère, Véronique (décédée en 2018) qui pendant trois décennies a œuvré pour l’association.

C’était la marraine [sa mère, Véronique] des bénévoles, il faut lui rendre un hommage vibrant parce qu’elle a fait ça avec une dignité incroyable et en même temps, elle n’a jamais rien lâché et comme le disait très bien Jean-Jacques Goldman : ‘Elle était là’ 

Romain Colucci

à franceinfo

Il a 13 ans, en 1985, quand Coluche annonce le lancement des Restos du cœur comme un hold-up: "Les Restos du cœur, il les a volés quand même quelque part Coluche. C’est-à-dire que s’il avait fallu demander l’autorisation, on serait encore en commission pour savoir qui seront les membres de… etc… "

L’idée, elle est partie du répondeur automatique d’Europe 1 où les gens disaient : ‘C’est très bien les concerts pour l’Ethiopie mais en France aussi il y a des gens qui n’arrivent pas à bouffer quoi

Romain Colucci

à franceinfo

"L’idée est partie de là, Michel a su l’entendre, a su la reprendre et a su la traduire sans filtres",  poursuit-il. Le but au départ c’était d’essayer de créer une cantine pour les pauvres : "Ça ne s’appelait même pas encore les Restos du cœur et l’idée c’était d’essayer de faire 3 000 repas par jour " et pour nous donner une idée du volume en transposant ce chiffre à aujourd’hui : 3 000 repas, c’est ce que servent à Paris les Camions mobiles, pas les centres.

Cette démarche se voulait éphémère au départ mais en réclamant une loi, Coluche avait probablement dans la tête de faire perdurer dans le temps cette entreprise solidaire. La loi est votée en 1989, elle crée une  déduction fiscale supplémentaire pour certaines associations caritatives et humanitaires dites "organismes d’aide aux personnes en difficulté".

"Cet hiver va sans doute être l’hiver le plus difficile depuis celui de 1985"

A leurs débuts, les Restos distribuent 8 millions de repas, on est passé en 35 ans à 136,5 millions, des chiffres parfaitement vertigineux, effrayants. Ce que redoute Romain Colucci ce sont les semaines à venir. Les règles sanitaires inhérentes à la deuxième vague du Covid-19 gênent considérablement les distributions de denrées et le confort des bénéficiaires : "Cet hiver va sans doute être l’hiver le plus difficile depuis celui de 1985. En 85, on n’avait même pas de locaux, c’étaient des chapiteaux posés sur des terrains vagues pour servir la nourriture. Et cette année, on est presque moins bien logés parce qu’on ne peut plus recevoir les personnes accueillies à l’intérieur des centres."

On est obligé de faire les distributions en colis avec une table que l’on pose devant le centre et les gens font la queue.

Romain Colluci

à franceinfo

À cette crise sanitaire s’ajoute une crise économique. Un bon nombre d’étudiants qui avaient un petit boulot à côté de leurs études, n’en ont plus et viennent avec d’autres laissés pour compte gonfler les files d’attente de l’association: "Il y en a 25% qui sont passés sous le seuil de pauvreté. On le voit aussi dans d’autres catégories de personnes, tous ceux qui vivaient de la ramasse, tous ceux qui travaillaient au black, tous ceux qui sont passés entre les mailles du filet des aides tout simplement, il y en a plein. Le premier confinement, ils ont tenus un peu, le deuxième…" 

Cet hiver donc, il ne sera pas possible de pousser une porte pour juste casser aussi cette solitude dont beaucoup d’entre eux souffrent car comme il le rappelle, "le repas c’est la porte d’entrée vers la personne accueillie parce que ce dont les gens souffrent après la précarité alimentaire, c’est la solitude et ça fait complètement partie de notre mission. Il y a un truc qui est formidable c’est que le nombre de bénévoles n’a jamais cessé d’augmenter en même temps que la précarité et s’ils n’étaient pas là, ce serait compliqué."

Là, avec le vent, le froid, les gens qui ont des enfants, ou qui sont un peu malades, ça va être notre pire hiver. C’est très difficile pour les bénévoles, les personnes accueillies. Je leur tire mon chapeau parce qu’ils ont vachement de courage et ça va être dur

Romain Colucci

à franceinfo

Administrateur des Restos, devenus une grosse machine, il poursuit l’œuvre de ses parents et ne perd pas de vue que le plus dur, ce n’est pas l’énergie qu’il y met, ce qui est difficile, dit-il, "c’est de venir aux Restos du cœur, s’avouer que l’on ne peut plus nourrir sa famille, qu’on ne peut plus se nourrir soi-même, ça c’est difficile".  

"On est ce que vous donnez"

Il avait 14 ans quand son père meurt dans un accident de moto le 19 juin 1986 et à la question d’Elodie Suigo sur ce qu’il a gardé de lui, c’est avec humour qu’il répond : "J’ai un bon foie", puis plus sérieusement : "Quand on voit ce qu’il a fait, qu’il est parti de rien d’une banlieue de Montrouge où il n’y avait vraiment rien du tout et il a prouvé qu’on pouvait abolir toutes les frontières et qu’il fallait lutter contre toutes les injustices et toutes les formes de bêtise, de méchanceté et d’imbécilité. Il n’y a pas d’arme plus puissante que l’exemplarité."

Nous on tient grâce à la générosité. 50% des repas, ce sont les dons du public. 1 euro, c’est un repas

Romain Colucci

à franceinfo

Pour donner c'est par ici et pour la septième année consécutive on retrouve en librairie 13 à table ! Aux éditions Pocket (cinq euros), dont les ventes ont permis depuis 2014 de distribuer 4,5 millions de repas. Cette année on y trouve des textes de Philippe Besson, Olivia Ruiz, Leïla Slimani, Franck Thilliez etc…  

Et pour écouter l'interview de Romain Colucci en longueur, c'est ci-dessous:

LE MONDE D'ELODIE - 25/12 ROMAIN COLUCCI WEB

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