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Le monde d'Elodie. Anne Sinclair : "J'ai découvert une rafle et un camp nazi à 70km de Paris dont j'ignorais l'existence"

La journaliste publie "La Rafle des notables". Son grand-père grand-paternel se trouvait parmi le millier de juifs français et étrangers raflés en décembre 41 et enfermés au camp de Compiègne, avant d'être déportés vers Auschwitz 

Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Anne Sinclair, le 23 janvier 2012 à Paris, lors du lancement de la version française du Huffington Post qu'elle adirigé jusqu'à l'an dernier. (MARLENE AWAAD / MAXPPP)

Elodie Suigo : Anne Sinclair, vous êtes journaliste franco-américaine, vous avez animé plusieurs émissions d’informations dont le célèbre magazine 7/7 sur TF1. Directrice éditoriale du Huffington Post de 2012 à 2019. Aujourd’hui sur France Info c’est une journée spéciale consacrée à la deuxième phase du déconfinement. Que représente pour vous cette liberté retrouvée ? Anne Sinclair :

Ça fait goûter la liberté tout court ! C’est-à-dire que la liberté retrouvée, c’est au fond le bonheur de ce qu’on avait avant et dont on ne prenait pas toujours conscience. Donc c’est le bonheur de se promener déjà depuis quelques temps où on veut, comme on veut. De sortir de chez soi sans avoir besoin d’une attestation, bien sûr. Mais là, ça va être le bonheur retrouver des terrasses de café, tout en faisant très attention, parce que je fais partie des gens qui considèrent que le virus n’est pas parti et qu’il faut toujours s’en prémunir. Tout n’est pas fini. On peut retrouver sa liberté tout en étant responsable.

Votre livre, La Rafle des notables, paru chez Grasset, est sorti deux jours avant le début du confinement. Vous y racontez comment votre grand-père paternel, Léonce Schwartz à été arrêté avec 743 autres juifs français, des bourgeois pour la plupart, au camp de Compiègne Royallieu le 12 décembre 1941, donc à moins de 100 km de Paris. En dehors des historiens comme Serge Klarsfeld, qui vous a d’ailleurs beaucoup aidé, beaucoup documenté, cette rafle et ce camp ne sont pas connus du grand public. Vous dites que cette histoire familiale vous hantait depuis votre enfance et que vous vouliez redonner un peu de chair aux disparus… Pourquoi ce livre ? 

Et j’ai voulu raconter une histoire collective. D’abord parce que sur mon grand-père, je n’avais pas beaucoup d’éléments, sinon je les aurais probablement gardé pour moi. Mais j’ai découvert en effet une rafle et un camp dont j’ignorais à la fois l’existence et la finalité et la façon dont tous ces juifs de France, accompagnés de juifs étrangers, ont été arrêtés et incarcérés dans un camp nazi tenu par les Allemands, à 70 km de Paris. Serge Klarsfeld a entrepris, via le mémorial de la Shoah, de publier les journaux de ceux qui se sont trouvés confrontés à cette rafle du mois de décembre 41, qui a été la première rafle qui a conduit la plupart des prisonniers de ce jour là  dans une chambre à gaz. Et donc ça a été le premier convoi de juifs de France partis de France pour Auschwitz. Je n’ai pas fait un travail d’historien, parce que je ne le suis pas, j’ai essayé d’être au fond une sorte de haut-parleur avec un peu plus de diffusion que celle réservée aux seuls chercheurs en histoire. 

Votre grand-père est mort des suites des sévices  allemands. Il a donc échappé à Auschwitz mais il n’a pas survécu. Votre père quant à lui s’était engagé dans la France Libre. Il y a d’ailleurs une phrase très très forte qui parle d’une de ses plus grande fierté : un jour il vous a montré la dépêche reproduisant un extrait d’un discours de Goebbels qui avait condamné à mort le juif Sinclair, journaliste sur les ondes de Radio Beyrouth. Cela a-t-il joué dans le fait que vous deveniez journaliste ? 

Je ne sais pas si c’est lié. Peut-être, sans le savoir… La passion du journalisme je l’ai eue plus tardivement. Précocement, c’était le goût de donner à comprendre l’histoire en direct. J’étais passionnée de radio ; j’ai commencé à la radio, avant de faire de la télévision que j’aimais aussi. Mais ce que j’ai aimé surtout, c’est d’essayer de donner un peu de sens à ce qui se passait et donc aux événements du moment. Là, c’est plus un travail sur la mémoire et le passé. Mais vous avez raison, ce n’est pas complètement séparé. Les  gens ne sont pas faits de cases séparées mais de cases rassemblées, alors ça doit faire partie un peu de mon ADN… 

Face a l’antisémitisme et au populisme renaissant en Europe et en France, êtes-vous inquiète ? 

Bien sûr que je suis inquiète ! Mais je pense qu’il ne faut pas pousser les comparaisons au-delà de ce qu’elles méritent. La période n’a heureusement rien à voir, en tout cas en Europe occidentale et il n’y a pas du tout d’antisémitisme d’État qu’il y avait dans les années 30. Mais il faut toujours être vigilant sur les phénomènes de racisme et d’antisémitisme. La mort récente, violente, de George Floyd aux États-Unis est comme le rappel que le racisme existe dans nos pays occidentaux, que ce sont les plus faibles qui paient le tribut le plus lourd face a l’extrémisme et qu’il faut toujours être en alerte. Écrire des livres sur ce qui s’est passé hier, cela peut mettre en alerte sur ce qui se passe aujourd’hui. 

Que vous a transmis votre famille ? 

Peut-être une certaine façon de faire face. Je ne sais pas ce que je donnerais dans des épreuves aussi violentes, mais ce grand-père avait pour devise : serrer les dents dans l’adversité. Mon père avait cette philosophie là. C’est un état d’esprit, qu’il faut faire perdurer. Et résister. Et se battre. 

La Rafle des notables, c'est publié aux éditions Grasset. Merci beaucoup Anne Sinclair ! 

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