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"La mer, c'était le vrai monde, le reste était une caricature " : Oliver de Kersauson délivre ses "vérités"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, le navigateur et écrivain, Olivier de Kersauson. Il vient de publier un essai : "Veritas tantam" aux éditions du Cherche-Midi.

Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le navigateur et écrivain, Olivier de Kersauson, en 2016. (FRED TANNEAU / AFP)

Olivier de Kersauson est navigateur et écrivain. Amoureux des mots, de la poésie et de la mer, le marin breton qu'il est, attaché à Brest, est aujourd'hui posé en Polynésie. Quand on évoque sa personnalité, ce qui ressort, c'est sans conteste son franc-parler, son besoin d'être libre, de faire ce qui lui correspond. Il vient de publier un essai : Veritas tantam aux éditions du Cherche-Midi.

franceinfo : Votre plume est directe, franche, comme d'habitude, vous ne trichez pas. Est-ce que cet essai est un cri du cœur pour garder le cap au milieu des tempêtes ?

Olivier de Kersauson : C'est une réflexion un peu molle de vieillard qui trottine à la frontière d'Alzheimer et qui se dit : "En fait, c'est bizarre, je n'arrive pas tout à fait à penser comme mes contemporains", sans que ça me révolte non plus parce que je m'en fous un peu. Je ne donne pas de leçon. Je dis : moi je pense ça, voilà. D'ailleurs, je le dis dans le livre à un moment donné : "Je ne vous en veux pas plus que j'espère que vous ne m'en voudrez pas, quand vous m'aurez lu parce que je pense ça, c'est tout".

Quelques-unes de vos premières phrases sont : "J'ai toujours mesuré que tout n'était pas éternel. C'est pour cette raison que j'ai fait mille choses qui me faisaient marrer. Je n'allais quand même pas m'emmerder à attendre d'être vieux pour vivre". On a le sentiment que ça a été votre adage tout au long de votre vie.

Oui. J'ai toujours su que c'était fragile. Intuitivement. Même, petit, j'ai toujours senti que c'était une chance et pas un dû. J'ai toujours considéré moins intéressants, l'automne, l'hiver, la rentrée des classes, c'était sordide. Mais le reste était vachement bien. Mai, juin, juillet, août, septembre, les grandes vacances de l'époque qui duraient trois mois, on était complètement sortis du monde dans lequel les gens voulaient vous emmener. C'était vachement bien !

Vous gardez quoi de votre enfance ?

Le goût de l'évasion qui ne m'a jamais quitté. C'est-à-dire que je ne suis jamais assis entre deux personnes quelque part, parce qu'il faut que je puisse bouger en cas de besoin, immédiatement. Je n'ai jamais le dos à la porte, j'ai toujours mon passeport sur moi et je me méfie du monde que mes contemporains ont fait. Je me rappelle de ça, il y a 40 ans, peut-être un peu plus, 50 ans. J'étais allé visiter Dachau en rentrant d'un tour en stop, en Grèce, en hiver. Et j'avais visité le camp et je m'étais vraiment dit : "Mais putain, ils sont capables de tout". Et comme ils étaient capables de tout, méfiance.

"Ce n'est pas que l'homme n'est pas fiable, mais je pense que comme il est faible, il peut devenir sordide rapidement. Le bon sens demande d'être toujours prêt à esquiver."

Olivier de Kersauson

à franceinfo

C'étaient vos premiers voyages, d'ailleurs, vous êtes allés jusqu'en Yougoslavie. Vous avez fait énormément de route. L'idée, c'était de découvrir. Après, il y a eu une autre passion, celle de la mer. Vous en parlez, vous lui rendez encore hommage.

Il y avait la mer depuis le début, je l'ai toujours aimé. Je trouvais que c'était vraiment intéressant. Le vrai monde était là. Le reste était une caricature.

Ce qui vous exaspère, vous le dites dans cet ouvrage, c'est par exemple, que notre société n'a pas conscience de ses réalités. Et donc la victimisation, ça vous exaspère.

Non, je m'en fous. Je n'ai pas de jugement de valeur. Je ne sors pas de mes gonds parce que les gens vivent comme ça. Je me permets de faire remarquer avec la délicatesse, la discrétion et la bonne éducation qui sont mon fait de dire que je ne partage pas obligatoirement leur point de vue. Mais ça s'arrête là. Je n'ai pas de leçon à donner, mais je ne suis pas exaspéré. Parfois dans la vie, on n'est pas d'accord. On n'adopterait pas les mœurs ou les façons de penser de quelqu'un, mais on ne condamne pas pour autant. On se contente de discrètement regretter.

Vos deux grands-pères sont morts très jeunes, ils avaient 30 ans tous les deux. Le premier est décédé pendant la guerre 14-18 et ça a été une leçon de vie pour vous.

Oui, à l'époque, il y avait la photo dans le salon avec le brassard noir. Mon frère et moi, ça nous a beaucoup influencés.

"Je pense que mon frère a fait la marine pour venger Grand-père et moi j'ai fait l'aventure parce que je me suis dit qu'on avait un devoir de se bouger pour ceux qui n'avaient pas eu la chance de pouvoir le faire."

Olivier de Kersauson

à franceinfo

Moi, mon père avait eu la polio dans les années 1905, donc c'est un homme qui toute sa vie a marché avec une canne et je crois que j'ai été ses jambes. J'ai fait toutes les gambaderies qu'il n'a pas pu faire.

Vous gardez quoi de vos parents ?

On a beaucoup reçu d'eux. Ma mère disait : "Votre éducation ne vous plaît pas, mais elle n'est pas là pour vous plaire. Elle est là pour vous former". Ce n'est pas con comme principe. Ce n'était pas obligatoirement agréable. On a été bien élevés, on a été élevés par des gens cohérents. C'est une chance énorme.

Vous racontez que ce monde superficiel, cette société qui légifère mais qui n'applique pas ces lois vous gêne. Et vous dites : "Je n'ai jamais appartenu à ce monde, je me suis démerdé, j'étais un rêveur joyeux". Vous vous êtes construit comme ça. Il était comment ce monde auquel vous souhaitiez appartenir ?

Ça me gêne un peu, c'est vrai. Dans ce monde, il faisait du bateau, de la course. Il vivait dehors et s'en foutait de ce que pensait l'autre. N'étant pas gestionnaire du cerveau de l'autre, je ne vois pas pourquoi je me préoccuperais de ce qu'il pense. Quand je disais ça à ma mère, ça la rendait hystérique parce qu'elle me disait des trucs et je lui répondais : mais vous savez, ça ne m'intéresse pas du tout ce que vous me dites. J'avais 12 ans, ça les énervait un peu.

À quel âge vous comprenez que la mer, quoi qu'il arrive, va faire partie de votre vie ?

Je ne le comprends pas, je le subis. Je me rappelle dans les huit, dix ans avoir quitté le bord de mer pour entrer au collège et de m'être tourné le cœur déchiré, comme quand on quitte quelqu'un qu'on aime.

Pour terminer, à 72 ans, est-ce que le petit garçon que vous étiez est heureux de l'homme que vous êtes devenu au fil du temps ?

Je ne lui ai pas menti. Je crois.

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