John Simenon : "Mon père, Georges Simenon, avait une soif d'humain qui ne s'est arrêtée que quand il a arrêté d'écrire"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Lundi 29 janvier 2024 : un des fils de l’écrivain Georges Simenon, John Simenon. Il dirige une nouvelle collection aux éditions Dargaud consacrée à l’adaptation en BD de certains des romans "durs" de l’auteur.
Article rédigé par Elodie Suigo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
John Simenon, fils de Georges Simenon, à Lausanne (Suisse) le 12 septembre 2018 (CHRISTIANE OELRICH / DPA)

John Simenon est le deuxième des quatre enfants du romancier belge Georges Simenon, le géant du polar social. Depuis presque 30 ans, il gère l'œuvre colossale de son père. Il était le créateur du commissaire Maigret, certes, mais ce n'est qu'une partie très infime de ce qu'il a créé et imaginé : 193 romans et 158 nouvelles référencés sous son nom. Il est, selon l'Unesco, le 17ᵉ auteur toutes nationalités confondues, le troisième auteur de langue française avec Jules Verne et Alexandre Dumas et l'auteur belge le plus traduit dans le monde, avec pas loin de 600 millions d'exemplaires vendus. Il est aussi celui le plus adapté au cinéma, au théâtre et à la télévision.

John Simenon dirige une nouvelle collection aux éditions Dargaud consacrée à l’adaptation en BD de certains des romans durs de l’écrivain comme Le Passager du Polarlys, La neige était sale et Simenon, l'Ostrogoth avec pour plumes et crayons intermédiaires engagés et passionnés, celle de Bocquet, Fromental, Loustal, Caillaud et Yslaire.

franceinfo : On rêvait de voir des romans de votre père adaptés en bandes dessinées. Vous l'avez rendu possible. Qu'est-ce qui vous a fait dire oui ?

John Simenon : C'est très gentil de me dire qu'on en rêvait. Moi, j'en rêvais, c'est très clair. Pour être un peu plus précis, certains Maigret avaient déjà été adaptés en bande dessinée il y a fort longtemps, d'une manière beaucoup plus traditionnelle. Et ça faisait très longtemps. Je viens du cinéma et je me disais que la bande dessinée étant devenue totalement un art majeur, devait être un médium tout à fait adapté pour créer des transpositions, des adaptations de ce que mon père appelait les romans durs, c'est-à-dire les romans non Maigret.

Et c'est un peu par hasard que je suis tombé, un jour, sur une bande dessinée qui s'appelle De l'autre côté de la frontière, dont le personnage principal ressemblait physiquement à s'y méprendre à mon père. La bande dessinée n'avait rien de biographique ni quoi que ce soit, mais j'ai trouvé la manière de rendre hommage à mon père très séduisante. J'ai cherché à savoir qui avait écrit cette bande dessinée et je suis tombé sur Fromental. Je l'ai appelé en pensant que la conversation durerait cinq minutes. Elle a duré trois heures et puis voilà, on a mis sur les rails cette série.

Enfant, adolescent en tout cas, vous étiez souvent en train de vous chamailler avec votre père. Il a été très dur avec vous. Vous avez mis du temps à comprendre tout ça.

J'ai toujours l'image d'un père constamment présent lorsque j'étais enfant et adolescent. Et je me suis aperçu en retrouvant ses agendas, qu'il était constamment en vadrouille à travers le monde. Mais il y avait cette présence tout à fait permanente à travers le téléphone, des messages qu'il nous laissait, etc.

"Quand mon père disait que son métier principal, c'était d’être père, c'est vrai. Ce n'était pas une coquetterie."

John Simenon

à franceinfo

Pour en revenir à la séparation... Lorsque j'étais jeune adolescent, il me donnait à lire ses romans. Dès qu'il les avait écrits, j'avais une copie du tapuscrit. Et un jour, j'avais 16 ans, je suis tombé sur un personnage qui avait des rails de chemin de fer sur les dents, des boutons plein la figure. Même si l'histoire n'avait rien à voir avec moi, j'ai trouvé ça très pénible. J'ai mis Simenon de côté jusqu'à l'âge de 40 ans où j'ai lu La neige était sale, l'un des romans que nous avons décidé d'adapter en bande dessinée. Et là, ça a été une révélation.

Ça a même été un coup de poing car il y a cette phrase qui est restée en suspens c'est : "Le métier d'homme est difficile". Est-ce devenu un adage ?

Oui, cette phrase a accompagné toute mon enfance et pour lui, c'était quelque chose qui devait s'apprendre et qu’il était difficile d'apprendre.

Si vous deviez me raconter en tant que fils, qui était votre père, que me diriez-vous ?

Pour moi, c'était évidemment tout d'abord un père, parfois difficile, qui nous a donné beaucoup plus de temps que j'ai été capable d'en donner, par exemple, à mon propre fils, ce que je regrette. Il avait une soif d'humain en quelque sorte, une soif de connaissance de l'homme et de la femme. Il a dit d'ailleurs : "J'ai été à la recherche de l'homme et c'est à travers la femme que je l'ai trouvé". Il était très sincère quand il disait cela. Mon père avait une soif d'humain qui ne s'est arrêtée que quand il a arrêté d'écrire.

On comprend effectivement qu'il n'arrivait jamais à rester en place et qu'il lui fallait toujours une espèce de nourriture intellectuelle supplémentaire.

Pour lui, écrire, c'était donner naissance à des personnages. C'était réellement un travail, finalement, très maternel. Et cette naissance, cette création devait se nourrir de rencontres, de réalité. Il disait : "J'ai besoin, pour pouvoir parler d'un banquier, d'avoir au moins compris ce qu'il fait comme métier et de l'avoir côtoyé d'assez près pour voir quels sont les ressorts qui le motivent". Même chose avec les mariniers, et même chose avec évidemment les flics. Ce qui a donné naissance à Maigret.

Si vous deviez vous adresser à lui aujourd'hui, que lui diriez-vous ?

"Quand je me baladais avec mon père, tous les jours, je parlais de moi comme un con et aujourd'hui j'aimerais parler de lui."

John Simenon

à franceinfo

Je lui dirais : maintenant, il faut qu'on recommence à nous promener et j'ai tellement de questions à te poser que voilà, on en a pour des années de balade à refaire en quelque sorte.

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