"Je me dis que c'est pour nos filles" : Marie Portolano poursuit son combat pour l'égalité en publiant "Je suis la femme du plateau"
Marie Portolano est une journaliste et animatrice dont la spécialité est le sport et en particulier le football. Actuellement, elle coanime avec Thomas Sotto "Télématin" sur France 2. Au fil de ses interventions et présentations, elle a réussi à s'imposer dans un paysage sportif médiatique dans lequel les femmes ont toujours eu bien du mal à exister. C'est d'ailleurs ce qui lui a donné envie de réaliser en 2021 le fameux documentaire "Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste". Une prise de conscience au sein des rédactions et des services des sports a suivi la diffusion de ce reportage. Certains comportements machistes et misogynes devant être signalés et bannis .
Elle vient de publier : Je suis la femme du plateau chez Stock Editions.
franceinfo : Vous débutez le livre sur le cataclysme créé après la sortie de ce documentaire et vous démarrez par une anecdote incroyable. Vous êtes dans un entretien d'embauche avec un grand directeur d'une rédaction.
Marie Portolano : Oui, c'est ça, avec un directeur qui me dit qu'il me suit depuis des années puisqu'il est fan de foot. On parle vraiment de mon évolution, du Canal Football Club, du Canal Sport Club, de tout et il me dit :"Et puis l'année dernière, j'ai vu votre documentaire et je me suis dit : c'est incroyable, cette fille a aussi un cerveau". En fait, ce qui est terrible dans cette phrase, c'est que lui pense me faire un compliment. Moi je l'ai pris évidemment personnellement, mais aussi je me suis dit mais comment il considère mes consœurs du coup ? Ça signifie que concrètement, les journalistes sportives, elles sont toutes débiles ? Et puis parce que moi j'ai fait un documentaire, finalement je trouve grâce à ses yeux ? Enfin, je n'ai pas compris et donc je me suis dit à ce moment-là : bon, en fait, le travail n'est pas terminé, au contraire, et je me suis même dit qu’il n’avait pas dû voir le film, c'est impossible qu'il puisse me dire un truc pareil alors qu'il a soi-disant aimé le documentaire.
Vous racontez vos premières expériences dans certaines rédactions. La première fois, vous êtes seule avec votre chef avant que les autres journalistes n’arrivent et déjà il essaie. Par la suite, dans un parking, vous montez dans une voiture dans laquelle il vous fait comprendre qu'il adore faire l'amour dans un parking. La deuxième expérience, c'est presque la même. Vous subissez là encore le fait de dire "Non" à ce deuxième homme. C'est ça que vous vouliez montrer dans le documentaire et aussi à travers cet ouvrage, à quel point c'est difficile pour une femme de dire : "Non", tout simplement.
Exactement. Quand un de mes chefs me propose de m'embrasser et que moi, je mets tout en œuvre pour essayer de l'éviter, il ne se rend pas compte que derrière, quand je rentre chez moi, je vais y penser, que je vais me dire mais comment ça va se passer quand je vais retourner au travail ?
Vous vous effondrez par moments, vous le racontez.
Oui. J'ai beaucoup parlé de cette stratégie d’évitement et ce qui est drôle c’est qu’elle a fait réagir pas mal d'hommes. Il y a des hommes que je connais qui ont lu le livre et qui me disent : "Ah là, mais tu vois, je n'imaginais même pas ça..."
"Le NON est difficile à dire, surtout quand c'est à son supérieur hiérarchique."
Marie Portolanoà franceinfo
Il y a une femme qui va beaucoup jouer dans cette capacité que vous avez en tant que femme à ne pas vous laisser faire, à avancer, c'est votre maman. Lors de votre première expérience, c'est vraiment vers elle que vous vous tournez. Vous êtes effondrée, en larmes et vous lui dites : "Je ne veux pas y retourner, il va encore essayer demain et après-demain, et ainsi de suite". Et pour la première fois de votre vie, vous la voyez ne pas trouver les mots pour vous répondre.
Oui, c'est ça. Ma mère a une grande carrière, elle a été énarque, elle a dirigé plein d'hommes, elle a été haut fonctionnaire et cheffe de plein de choses. Donc c'était vers elle que je me tournais dès que j'avais des conseils à lui demander pour le monde du travail. Et c'est drôle que vous me parliez de ma mère, parce que le jour où je lui ai montré le documentaire, elle a pleuré. Et sachez que ma mère ne pleure pas beaucoup et en fait elle m'a dit : "Mais tout ce que tu racontes, je l'ai vécu" et elle me dit : "En fait, c'est un échec de ma génération. Ça signifie que ma génération n'a pas su démonter ce système-là". Donc c'est ce que j'essaie de faire, je me dis que c'est pour nos filles, pour les jeunes qui arrivent, pour qu'ils ne connaissent pas ce genre de situation.
Je voudrais qu'on revienne sur votre passion avec cette question que vous détestez et qu’on ne pose jamais à un homme : "Mais tu aimes vraiment le foot ?" Le foot démarre, vous avez quoi ? 13 ans ? C'est un coup de foudre ?
"Ma passion pour le football vient de ma famille."
Marie Portolanoà franceinfo
Alors ce n'est pas un coup de foudre, c'est un coup de foudre forcé, à la base ce sont mes deux frères qui ont gagné, ce qu’on appelle chez nous, le combat de la télécommande. Ce sont eux qui choisissaient le programme. Et le samedi soir, c'était foot. Au bout d'un moment, j'ai fini par m'y mettre et à surtout apprécier d'être dans leur clan. Généralement, les gens sont passionnés par héritage familial.
Êtes-vous fière de la femme que vous êtes devenue à travers ce que vous avez déjà réussi à accomplir, le courage de sortir ce documentaire ?
Moi, je suis hyperutopique. J'aimerais que tout le monde soit heureux de travailler ensemble. Évidemment, ça n'arrivera jamais, mais j'aimerais que mes filles arrivent dans le milieu du travail sans jamais se poser la question de : "Est-ce que je suis légitime ? Comment je fais pour éviter mon patron qui veut m'inviter à boire un verre ?" Ça, j'aimerais que ça n'arrive plus. Donc je serai très fière le jour où vraiment je me dirais : OK, mon travail n'a pas servi à rien.
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