"Il y a quelque chose de plus fort que l'amour, c'est le rêve", selon l'écrivain Yasmina Khadra

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Mardi 17 septembre 2024 : l’écrivain Yasmina Khadra. Il vient de publier un nouveau roman "Cœur d'amande", aux éditions Mialet-Barrault.
Article rédigé par Elodie Suigo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Yasmina Khadra, pseudonyme féminin de l'écrivain algérien Mohammed Moulessehoul, le 7 février 2020. (MARTA PEREZ / EFE)

Derrière le pseudonyme composé de deux prénoms, Yasmina Khadra, empruntés à sa femme pour son soutien, se cache à visage découvert un écrivain connu et reconnu depuis qu'il a décidé de faire valoir ses droits à la retraite après une carrière militaire bien remplie en Algérie. Ce choix a été difficile à faire, mais judicieux car sa plume devenue sa seule arme, lui a d'ores et déjà permis de recevoir le Grand Prix de littérature Henri-Gal par l'Académie française, Prix de l'Institut de France pour l'ensemble de sa carrière en 2011. Son dernier ouvrage vient de paraître Coeur d'amande aux éditions Mialet-Barrault.

franceinfo : Dans ce titre, il y a le mot "cœur". C'est vrai qu'il touche en plein cœur. Il parle du cœur et avec le cœur. Bref, vous êtes-vous déjà autant livré ?

Yasmina Khadra : J'ai écrit ce livre pour une simple raison : faire du bien. C'est un personnage qui m'a restitué à moi-même, qui m'a permis d'expulser pas mal de toxines. Et ça m'a fait rire, ça m'a fait pleurer à chaudes larmes. Voilà, c'est la vie. Et puis c'était aussi une promesse. Mon lectorat français me demandait d'écrire un livre qui se passe en France, "Vous avez parlé de tous les pays, mais quand est-ce que vous allez écrire un roman dont l'histoire se passe en France ?" Bah voilà, il est là.

Cet ouvrage, c'est d'abord aussi une déclaration d'amour à votre grand-mère. Vous parlez d'elle, Asnia. Ces grands-mères nous montrent parfois des chemins et elles sont essentielles. Elles deviennent des piliers.

Oui, j'ai adoré ma belle-mère. C'est une femme qui est partie trop vite. Il n'y a pas un matin où je ne pense pas à elle.

"J'ai aussi voulu rendre hommage à toutes les mamies, parce qu'elles sont le socle de toutes les tendresses. Elles ont cette sagesse après laquelle nous sommes tout le temps en train de courir."

Yasmina Khadra

à franceinfo

C'est un engagement indéfectible que vous faites aux femmes à travers cet ouvrage. Déjà, ces deux prénoms, c'était un acte très fort. J'ai l'impression que les femmes ont façonné votre vie et que donc c'était important pour vous de garder ce cap.

Oui, les femmes... J'ai d'abord vu ma mère qui a été une battante, mais elle était tellement seule dans la tourmente. J'ai vu son courage, sa longue animéité. Et puis j'ai vu aussi d'autres femmes en Algérie qui, pendant la guerre de libération étaient là, mais le voile des machos a tout camouflé. Et c'est ce combat-là qui m'a permis aujourd'hui d'aller jusqu'au bout de mes rêves et de ne rien craindre. La seule personne qui est capable de m'interdire d'accéder à mes rêves, c'est moi-même.

Est-ce que justement le fait de défendre les femmes comme ça dans un monde qui est très conservateur provoque par moments des menaces ?

Pas du tout, au contraire, peut-être du mépris. Je me rappelle quand j'étais à Koweït City, le Premier ministre m'a demandé : "Comment ça se fait que vous, un Algérien, un arabe, berbère, officier et tout, vous prenez un pseudonyme féminin ?" J'ai répondu, c'est la seule façon pour moi d'avoir le courage et la dignité de regarder ma femme dans les yeux. C'est tout. Quelques fois, je prétends être féministe, mais la femme n'a pas besoin de moi pour se battre.

"La femme se bat parfaitement toute seule, mais elle a besoin que je reconnaisse au moins son combat."

Yasmina Khadra

à franceinfo

Cette histoire raconte l'histoire de Cœur d'amande, Nestor surnommé Ness. Il est atteint d'un handicap. Il vit chez sa grand-mère. Elle est vraiment son oxygène. Il affronte évidemment le regard des autres, mais ça ne l'empêche pas de vivre. Il aime rire, découvrir, il aime rêver. En fait, Ness, c'est vous.

Il y a un peu de moi, bien sûr parce que je suis optimiste. J'ai traversé des moments très difficiles dans ma vie et je n'ai jamais fléchi. S'il m'arrive parfois de douter, je me ressaisis dans la seconde qui suit. C'est ainsi que j'ai réussi quand même à aller vers ce qui m'émerveille.

Vous avez créé un ciment dans cette écriture, dans cet ouvrage. D'un côté, il y a l'espoir, c'est très important. Et de l'autre, il y a les souvenirs. Est-ce que ce sont les deux points d'ancrage de cet ouvrage ?

Oui, les souvenirs, ça dépend. Les souvenirs peuvent être des ancres qui vous empêchent d'avancer. Mais l'espoir, c'est toujours un horizon qui est ouvert. C'est la conquête des lendemains avec une certaine sérénité, avec beaucoup d'attentes peut-être, mais ce n'est pas grave. Attendre, c'est bien. Quelqu'un m'a parlé de l'amour, j'ai dit que je pensais qu'il y avait quelque chose de plus fort que l'amour, c'est le rêve. Même si on n'arrive pas à le réaliser, ce rêve nous permettra d'avancer dans la vie.

Le rêve de Ness, c'est d'écrire. Que vous apporte l'écriture ?

"L'écriture, c'est d'abord un élan vers les autres."

Yasmina Khadra

à franceinfo

J'ai toujours défini un livre comme une sonde que l'on lance dans le cosmos humain, en quête d'un écho. Quand il y a un écho, ce n'est pas que le monde existe, c'est nous, c'est l'écrivain qui existe. Nous vivons dans un monde qui n'est pas toujours gentil avec nous-mêmes. C'est un monde qui ne sait pas obéir aux belles choses, qui ne sait pas s'attarder sur les belles choses. Il y a trop de conflits, trop de malheurs, de malentendus, de guerres qui reviennent. Et d'un seul coup, on a un livre qui nous remet à notre place, qui restructure notre humanité. La vraie vocation d'un être humain, c'est d'être utile à quelque chose. La vraie vocation d'un écrivain, c'est de rendre les gens heureux.

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