De "La Haine" à Hollywood : le récit introspectif de l’acteur Saïd Taghmaoui
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd'hui, le comédien Saïd Taghmaoui.
Acteur franco-marocain naturalisé américain depuis 2008, on découvre Saïd Taghmaoui dans le film La Haine de Mathieu Kassovitz avec une nomination aux César dans la catégorie meilleur espoir masculin (1996). Par la suite, il décide de croire en lui et part à Hollywood aux États-Unis. Depuis, il enchaîne les rôles avec des films qui ont une résonance internationale et mondiale, comme Wonder Woman (2017), Les Rois du désert (1999), John Wick Parabellum (2019), ou encore dans la série Lost (2009). Il publie une autobiographie De "La Haine" à Hollywood, aux éditions du Cherche-Midi.
franceinfo : "De 'La Haine' à Hollywood" est le récit d'une insolence, celle d'avoir eu l'audace de croire en vous et en vos rêves surtout.
Saïd Taghmaoui : Oui, c'est une autobiographie que j'ai mis quatre ans à écrire. Il y a plein d'artistes et d'acteurs qui racontent leur vie de façon édulcorée, un peu à l'eau de rose. Moi, ce n'est pas une success story, c'est plus une introspection, proche d'une psychanalyse. Et ça a été très, très douloureux, très délicat et je suis encore un peu fragile et un peu fébrile par rapport à tout cela. Mais on commence à voir la lumière au bout du tunnel. Ça a vraiment été une aventure complexe.
Votre livre est vraiment un message d'espoir puisque vous êtes né en Seine-Saint-Denis, septième enfant de la famille, avec des parents d'origine marocaine, des Berbères installés dans la région de Sousse depuis des générations. Votre mère a 13 ans et votre père, 16 ans, quand ils décident de se marier et ils arrivent en France en 1954. Votre père est sollicité pour construire des maisons, finalement il construira des bâtiments et notamment celui de la Cité des 3000 dans laquelle vous allez habiter.
L'idée, c'est de partager les expériences. Vous savez, l'émigration est quelque chose de compliqué et j'ai essayé d'aborder les choses à travers moi en étant le cobaye de ma propre vie, puisque c'est mon œuvre. J'espère que ça va parler à plein de gens, et pas qu'à la communauté maghrébine, mais à toutes les personnes, toutes catégories confondues, parce que c'est avant tout une histoire humaine.
"De 'La Haine' à Hollywood", c'est le parcours d'un homme qui se confronte. Et ce n'est pas simple de se confronter encore plus quand tu veux faire un métier exposé comme le cinéma.
Saïd Taghmaouià franceinfo
Vous dites même que vous n'avez pas forcément de bons souvenirs d'enfance. Votre père avait vraiment la main très lourde. La boxe va vraiment être votre mode d'expression ?
La boxe, c'est un relais de l'éducation, littéralement. C'est peut-être la pire et la meilleure chose qui me soit arrivée parce que c'est très dur, très douloureux. Et puis, il y a aussi une forme d'autodestruction là-dedans, c'est-à-dire que tu y vas et plus tu prends des coups, plus tu en donnes. Tu t'aperçois que la douleur est réelle. Elle est tellement réelle que tu as besoin de te faire mal pour exister, alors tu te fais mal pour te rappeler que tu es vivant.
Il y a eu aussi le graffiti qui vous permet aussi de faire de très belles rencontres. Je pense à Mathieu Kassovitz, mais je pense aussi à Rockin' Squat alias Mathias Cassel (leader du groupe de rap Assassin), et donc à la famille Cassel. C'est à partir de là que naît l'aventure de "La Haine" et ce que vous en dîtes est fou !
Il faut savoir que Mathias Cassel faisait partie de l'élite du graffiti et l'élite du rap. Je suis fasciné par eux tout comme Mathieu Kassovitz l'est. Vincent Cassel, le frère de Mathias l'est tout autant que nous.
C’est dans cette fascination mutuelle qu'on s'est rencontrés avec Mathieu Kassovitz, Vincent Cassel et dans cette euphorie-là qu'est née 'La Haine' et toutes ces choses qu'on allait faire ensemble.
Saïd Taghmaouià franceinfo
Vous dites quelque chose de terrible quand vous parlez de votre aventure et de votre rencontre avec Olivier Dahan. C'est lui qui va vous permettre d'accomplir vos premiers pas au cinéma avec "Frères : La Roulette rouge" (1994) mais il va vous faire un coup très dur. Ça vous reste encore aujourd'hui en travers de la gorge, sur le film "Déjà mort", il vous promet le rôle principal...
Alors, c'était beaucoup plus violent parce que j'étais conscient que j'étais jeune Arabe en France et que c'était compliqué, que beaucoup avaient essayé avant moi et n'avaient pas réussi pour des raisons pas très lumineuses. Donc j'ai très vite compris que la seule façon de faire ce métier correctement c'était d'appartenir à une famille cinématographique. D'où cette volonté dès le début, très tôt, de m'attacher à des metteurs en scène et faire partie de leur famille, c'est-à-dire vivre avec eux, changer les couches de leurs enfants et Olivier Dahan fait partie de ces gens à qui j'ai dédié ma vie à un moment donné. Et qu'est-ce qui va se passer ? La personne la plus intime, la famille absolue te trahit comme le dernier des traîtres. Quand j'ai fini d'écrire ce passage, la première chose que j'ai faite c'est de l'envoyer à Olivier et il m'a dit : "Oui, tout est vrai, j'ai été le plus grand des connards".
Vous dîtes quelque chose de terrible à ce moment-là : "J'ai pris conscience de ma condition d'Arabe et de ses conséquences sur ma vie d'acteur".
C'est-à-dire que je savais que ça me pendait au nez, mais tant que tu ne le vis pas, tu te dis que tu passes entre les mailles du filet jusqu'au jour où ça arrive. Et c'est longtemps après que j'ai réfléchi et me suis demandé pourquoi Vincent avait deux nominations, pour le même boulot, fait de la même façon. Et tu t'expliques cela par la famille. C'est là que je sais ce que je deviendrai ou pas.
Vous partez à Hollywood aux États-Unis. Quel regard avez-vous sur votre parcours ?
Je suis heureux d'être dans cette position parce que tout le monde pense que pour réussir, il faut faire des rôles principaux. Quand tu es acteur à mon niveau, t'as qu'une seule envie, c'est de travailler. Alors, ça ne s'est pas fait en une nuit, la position que j'ai là-bas est très difficile à obtenir. Ça reste un miracle parce que je ne parle pas leur langue, je n'y suis pas né. Je suis un immigré !
Je suis un artisan du cinéma, je suis un ouvrier.
Saïd Taghmaouià franceinfo
Je termine avec cette phrase d'Omar Sharif quand il vous a remis la Pyramide d'or (2006), le prix égyptien qui récompense le meilleur acteur du monde arabe. Il vous a dit : "Vous êtes mon héritier, mon successeur". Que représentent ses mots pour vous ?
Tout. Parce qu'Omar Sharif est une référence absolue, pour nous, les jeunes Maghrébins ou les gens issus de l'immigration. Cela vaut plus qu'un Oscar pour moi.
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