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Cinéma : "Faire un documentaire, c'est reconstruire une réalité", selon Nicolas Philibert, réalisateur de "Sur l'Adamant"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, le cinéaste et documentariste, Nicolas Philibert. Ce mercredi 19 avril, sort son nouveau film "Sur l'Adamant", pour lequel il vient de recevoir l'Ours d'or du meilleur film à la 73ᵉ édition de la Berlinale.
Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Nicolas Philibert, célébrant son Ours d'or du meilleur film pour "Sur l'Adamant", lors de la Berlinale 2023. (FABIAN SOMMER / DPA)

Nicolas Philibert est un cinéaste et documentariste soucieux de poser un regard sur le monde qui nous entoure, voire dans lequel nous vivons. Le grand public l'a découvert avec son film Être et avoir, en 2002, qui a reçu le prix Louis-Delluc, qui nous immergeait dans une classe de 13 élèves de l'école primaire de Saint-Étienne-sur-Usson. Il a également immortalisé la Maison de la Radio avec un regard porté sur le service public, en 2013, avant de saluer et de mettre en lumière le travail des infirmières et des infirmiers dans De chaque instant (2018). Ce mercredi 19 avril, sort son nouveau film Sur l'Adamant pour lequel il vient de recevoir l'Ours d'or du meilleur film à la 73ᵉ édition de la Berlinale. C'est un bâtiment flottant, un hôpital de jour unique en son genre. Posé sur la Seine, dans le 12ᵉ arrondissement de Paris, il accueille des adultes souffrant de troubles psychiques dans un lieu empli
d'humanité.

>> Cinéma : "C'est magnifique pour moi, pour le documentaire et pour la psychiatrie", réagit Nicolas Philibert, sacré par l'Ours d'or à la Berlinale

franceinfo : Était-ce important pour vous de recréer du lien, de l'humanité dans ce monde de brutes ?

Nicolas Philibert : Oui, parce qu'on vit dans un monde de communication, mais curieusement où les gens ne se parlent pas. Il y a beaucoup de repli, beaucoup de repli identitaire. Et l'Adamant, c'est un lieu dans lequel il y a du collectif. Pour qu'il y ait du collectif, il faut qu'il y ait des singularités qui soient ensemble, de l'hétérogénéité. Il faut qu'il y ait des gens d'horizons différents et c'est ça qui crée, au fond, du mouvement, de l'ouverture aux autres.

Le documentaire démarre sur l'un des soignés, François, qui interprète le titre "La bombe humaine" de téléphone. La chanson dit : "Mon père ne dort plus sans prendre ses calmants. Maman ne travaille plus sans ses excitants", ils savent qu'ils sont malades, en fait, toutes et tous, et qu'ils ont besoin d'aide. C'est ça aussi la force de ce documentaire.

Le film essaie de renverser un peu les clichés qui veulent que les patients en psychiatrie sont très souvent dépeints, décrits comme potentiellement dangereux, comme violents. Et j'ai rencontré-là des gens souvent en effet très lucides, intelligents, parfois drôles. Des gens qui ont beaucoup de choses en commun avec nous.

On érige toujours une barrière, un rempart entre les gens soi-disant normaux et ceux qui ne le sont pas, mais cette barrière mérite d'être pour le moins revisitée, sinon détruite voire reconstruite.

Nicolas Philibert

à franceinfo

Ça fait 40 ans que vous officiez dans le monde du documentaire. C'est René Allio qui vous a montré le chemin, qui vous a accueilli en tant que stagiaire. Après, vous avez été accessoiriste et enfin vous avez été assistant-réalisateur. Vous pensez encore à lui aujourd'hui quand vous travaillez, quand vous réalisez, quand vous avancez ?

Bien sûr. Je pense souvent à cet homme qui m'a fait la courte-échelle au fond, qui m'a permis de commencer, qui m'a donné confiance en moi. À un moment, il m'a dit : "Allez, vas-y, vas-y, fais ton film". Voilà, il n'a cessé de m'encourager.

Pourquoi ne sait-on rien sur votre enfance ? C'est qu'elle ne vous a pas plu ?

Déjà, je suis pudique. J'étais un petit garçon très peu sûr de lui. Encore aujourd'hui, je suis très peu sûr de moi. Et la caméra, c'est peut-être cet objet qui me permet d'aller vers les autres. Sans caméra, je resterais peut-être un peu dans mon coin. Enfant, je n'étais pas tout à fait dans mon coin, mais je n'étais pas non plus un petit caïd. Pas du tout.

Je me suis posée la question de savoir si vous n'étiez pas d'abord un raconteur d'histoires.

Un documentaire, c'est une œuvre éminemment subjective et assumée comme telle. C'est mon regard.

Nicolas Philibert

à franceinfo

Faire un documentaire, c'est reconstruire une réalité, s'emparer de choses qui ont existé pour les reconstruire. Donc c'est en un sens, raconter des histoires.

Vous avez filmé le Louvre, le métier d'infirmier, vous avez filmé un monde qui change aussi. À travers l'Adamant, on sent qu'il y a de moins en moins de moyens effectivement alloués au service de la santé par exemple. Donc, il y a un mal-être à travers ce monde-là aussi. Comment vous vous sentez dans ce monde ? Est-ce que votre caméra ne traduit pas aussi ce besoin que vous avez de peut-être faire changer les regards, de faire changer cette avancée ?

Cette caméra traduit chez moi le besoin de croire encore à certaines choses, de croire encore à quelque chose. Je trouve que le monde dans lequel on vit est extrêmement dur, extrêmement fermé. On vit dans un monde qui n'est pas très accueillant, il faut bien le dire, et on sait que l'homme est capable du pire. Mais moi, j'ai besoin, pour continuer à vivre, de m'accrocher à, ici et là, des petites choses qui donnent un peu de sens, qui donne un peu d'espoir. Je me dis : tiens, voilà sur l'Adamant, il y a des gens qui essaient de continuer à se parler, qui essayent de s'accueillir les uns les autres, qui essayent de s'écouter. Voilà, j'ai besoin de m'accrocher à des expériences, à des signes un tout petit peu encourageants au fond, parce que le monde est tellement noir.

Donc en fait, votre caméra, c'est une façon de continuer à croire en la vie ?

Oui, sans doute. Oui, c'est une façon pour moi de tenir debout.

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