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Le Débrief politique. Passation de pouvoir sobre et efficace à Matignon

La passation de pouvoir entre Manuel Valls et Bernard Cazeneuve passée au crible. Le remaniement n'a pas pris la forme d'une purge. La campagne pour la primaire de gauche est vraiment lancée. Emmanuel Macron survole tout cela depuis New-York. Tout ce qu'il ne fallait pas rater est dans le Débrief politique du mardi 6 décembre.

Article rédigé par franceinfo, Yaël Goosz
Radio France
Publié
Temps de lecture : 10min
Manuel Valls et Bernard Cazeneuve se sont livrés à une passation de pouvoirs sobre et efficace (CHRISTOPHE PETIT TESSON / EPA)

1Échange d'amabilités entre l'ancien et le nouveau Premier ministre

L'un reste, l'autre part : Matignon a vécu un nouveau passage de témoin mardi 6 décembre, entre cette fois Manuel Valls et Bernard Cazeneuve. "Je pars tranquille, a dit Manuel Valls, et je sais qu'ici, il y a un homme d'État. Vous avez été un grand ministre de l'intérieur, vous êtes un ami, vous êtes un frère. C'est rare en politique." 

"Je forme pour vous tous les voeux, lui a répondu Bernard Cazeneuve, et je veux vous dire ma très grande reconnaissance pour la manière dont nous avons travaillé ensemble. Cela porte un nom, dans la vie politique, et croyez-moi, cela existe : l'amitié."

Séquence émotion, séquence politique, marquée par ce long regard de Manuel Valls courant sur les murs de Matignon, alors qu'il attendait Bernard Cazeneuve sur le perron ; un regard un peu nostalgique, et en même temps joyeux - comme quand on referme sans regret une page de sa vie qu'on a pourtant aimé.

On le sent impatient d'en découdre, de mener campagne, et donc de partir, lui qui assure en même temps avoir été heureux à Matignon : "J'ai été un premier ministre heureux. C'est difficile à dire, vu les épreuves que nous avons traversées. Mais il n'y a pas d'enfer à Matignon."

Pas d'enfer à Matignon, mais d'autres cieux l'attendent, ceux d'une campagne pour le leadership à gauche et contre la droite : on a noté ce petit tacle au détour d'un hommage à ses collaborateurs : "C'est une belle mission de servir l'État et l'intérêt général, c'est l'une des plus belles missions, et l'État, la puissance publique, les services publics représentent pour notre pays quelque chose d'unique, un patrimoine qu'il faut préserver, entretenir, consolider."

Chacun sa boussole, désormais :  la présidentielle de 2017 pour Manuel Valls ; le service de l'État pour Bernard Cazeneuve, qui reprend mot pour mot la mission que lui a confiée François Hollande : "Chaque jour est utile. Il faudra continuer à protéger : protéger le pays contre la menace terroriste dont nous n'avons cessé de dire qu'elle est à un niveau extrêmement élevé. Mais la protection, c'est aussi la protection à laquelle les Français sont attachés, qui est celle de notre modèle social français."

Dernière accolade, puis Manuel Valls et sa compagne quittent Matignon sous les applaudissements des collaborateurs. Il y a deux ans et demi, des pleurs accompagnaient le départ de Jean-Marc Ayrault ; toute autre ambiance mardi, entre deux amis pas d'accord sur tout : la laïcité, l'interdiction des manifestations au printemps,... Deux amis aux tempéraments opposés, surtout : l'énergie au risque de la crispation contre la maîtrise au risque de la froideur. Le feu, et la glace ! 

2L'opposition attend Bernard Cazeneuve de pied ferme à l'Assemblée

Bernard Cazeneuve tiendra mardi prochain son discours de politique générale devant les députés, un discours pour "préparer l'avenir", c'est le nouveau slogan du Président pleinement Président François Hollande, et c'est surtout la dernière chance pour l'opposition de tenter la motion de censure.

"On demande à Monsieur Cazeneuve de venir fermer les lumières, raille le patron des députés Les Républicains, Christian Jacob, mais on attend de lui qu'il engage sa responsabilité, savoir s'il a encore, oui ou non, une majorité à l'Assemblée Nationale. Pour cela, le seul moyen pour le nouveau premier ministre, c'est d'engager sa responsabilité."

3Le remaniement n'aura pas été la purge annoncée

Le remaniement aura été assez limité : deux hollandais ont été promus - Bruno Le Roux à l'Intérieur, et André Vallini aux Relations avec le Parlement ; un soldat vallsiste, Jean-Marie Le Guen, a été recalé à la Francophonie. 

Mais il n'y a eu finalement aucune purge, les soutiens de Valls sont toujours là, et les radicaux de gauche aussi. Il y a sûrement de la rancoeur chez François Hollande, mais ce remaniement n'en porte pas la trace.

4Pendant ce temps, la campagne des primaires démarre vraiment à gauche

Premier duel à distance mercredi soir sur le terrain, entre Manuel Valls et Arnaud Montebourg. Manuel Valls inaugure sa campagne dans le Doubs, à Audincourt, là même où il avait mouillé la chemise face au FN en février 2015, c'était à l'occasion d'une législative partielle remportée de justesse par le PS au deuxième tour : "Il faut, expliquait-il à l'époque, qu'il y ait un rassemblement très large autour de Frédéric Barbier et des valeurs qui sont celles de la République. L'unité doit prévaloir ! L'unité nationale, bien sûr, mais aussi celles des républicains."  

Manuel Valls a déjà son nouveau QG, 300 mètres carrés dans le 13e arrondissement de Paris. Son équipe se réunit demain pour nommer un directeur ou une directrice de campagne. Leur mot d'ordre : "Maintenant, on élargit ! "

Côté Montebourg, ce sera Dijon : le candidat du Made in France sera sur ses terres bourguignonnes. C'est son premier meeting régional, mais son 20e déplacement depuis qu'il est candidat. Arnaud Montebourg qui n'a pas peur de Manuel Valls, "Matignon l'a coupé des Français", explique son équipe de campagne, qui a dévoilé son budget pour la campagne - modeste par rapport aux écuries de la primaire de droite : 400 000 euros, financés essentiellement par des dons.

Et puis Benoît Hamon, avec ce gimmick, "Hamon is the new Fillon", c'est l'idée que veulent faire passer les proches du député : les sondages et la presse se focalisent sur un duel, selon eux, "virtuel", entre Valls et Montebourg. Toute la lumière est sur eux, alors que Hamon trace tranquillement, consciencieusement son sillon en parlant au coeur de l'électorat de gauche, voilà qui rappelle la surprise Fillon, le troisième homme devenu premier. 

Benoît Hamon sera sur France 2 jeudi soir, pour son grand oral dans l'Emission politique. Mais avant cela, il a déjà des doléances pour le nouveau Premier ministre Bernard Cazeneuve : "Ce serait bien que sur le CETA, on mette un peu d'ordre. Je l'invite à faire en sorte que sur ce traité de libre-échange, on prenne des initiatives. Il n'est pas bon, ni pour l'environnement, ni pour l'Europe. J'espère qu'il consacrera ces cinq mois à essayer de faire avancer un minimum l'agenda européen en terme d'harmonisation fiscale et de convergence sociale. En tout cas, bonne chance à lui ! "

Reste que la primaire de gauche n'en finit pas d'engranger les candidatures: l'écologiste François de Rugy a officiellement déposé la sienne, mercredi ce sera celle de Jean-Luc Bennahmias, du Front démocrate, et d'ici samedi, un nouveau venu, Bastien Faudot, 38 ans, le candidat du MRC, l'ancienne maison de Jean-Pierre Chevènement.

Bastien Faudot entendait se lancer hors primaire, il fait maintenant machine arrière - officiellement parce que François Hollande a jeté l'éponge, et parce qu'il faut un représentant de ceux qui ont voté "Non" en 2005 au référendum sur l'Europe. Il y a surtout un principe de réalité : il est plus facile de concourir à la primaire, comme parti associé au PS, plutôt que de récolter 500 parrainages d'élus à l'extérieur, surtout quand il vous en manque 300 !

5Hors primaire aussi, les candidats affûtent leurs armes

Chez les Radicaux de gauche, Sylvia Pinel part seule, elle est candidate en dehors de la primaire, mais si Manuel Valls l'emporte, tout son petit monde se rangera derrière le vainqueur.

Tout ça laisse de marbre Emmanuel Macron, qui passe sa dernière nuit aux Etats-Unis, et donne ses dernières conférences à New-York. Le gouvernement a été remanié, Valls s'est lancé, un jour, ces deux-là devront peut-être s'affronter, mais Emmanuel Macron préfère pour l'instant la méthode Coué : "Je ne ferai aucun commentaire de politique nationale ici, c'est complètement décalé ! Je suis à l'international, donc je parle de ma campagne, de New-York, des États-Unis, des liens entre la France et les États-Unis, mais je ne ferai pas de politique 'domestic' française ici, aux États-Unis." 

La politique "domestic" - du Macron en franglais dans le texte, l'ancien ministre de l'économie en refera dès mercredi soir : les jeunes UDI qui ont fait sécession ont demandé à le rencontrer, ce sera à 19h30, à son QG de campagne.

Emmanuel Macron est dans le viseur de Manuel Valls : tout le pari de l'ancien Premier ministre repose sur le fait de gagner la primaire, avec une forte participation. Cela lui assurerait la légitimité de celui qui aura su rassembler en affrontant le suffrage des électeurs de gauche. À ce moment-là, la pression changera de camp, et il suffira d'un ou deux sondages positifs pour renvoyer la patate chaude à Macron : et si c'était lui, l'intrus de cette présidentielle ?

C'est le scénario rêvé des vallsistes, faire en sorte que le paysage du 29 janvier n'ait plus rien à voir avec celui d'aujourd'hui. C'est l'objectif, mais attention au retour de bâtons, car rien est écrit d'avance, et c'est Manuel Valls qui l'a dit !

6La note du Débrief

Une note sur la forme, pour la scénographie réussie, les discours sobres et efficaces : 17 sur 20 pour cette passation de pouvoir entre Manuel Valls et Bernard Cazeneuve.

Un moment tellement plus apaisé qu'en 2014, quand les équipes de Jean-Marc Ayrault pleuraient dans la cour de Matignon. Le quinquennat finit comme il n'a pas commencé, désintéressé, avec ce couple Hollande-Cazeneuve qui n'a plus de candidature ou de fief à sauver.

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