Tibet : 65 ans d'occupation chinoise vu depuis la Chine, l'Inde et le Canada

Il y a 65 ans, les Tibétains se soulevaient contre l'occupation chinoise. Cette révolte fut écrasée par la Chine et le dalaï-lama fuit alors le Tibet pour se réfugier en Inde, suivi par environ 100 000 Tibétains. En mars 2024, nos correspondants sur place décrivent cette commémoration.
Article rédigé par franceinfo, Sébastien Berriot - Côme Bastin, Justine Leblond
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Une militante du Congrès de la jeunesse tibétaine (TYC) devant l'ambassade de Chine à New Delhi, en Inde, le 11 mars 2024. (KABIR JHANGIANI / MAXPPP)

Le 17 mars 1959, Tenzin Gyatso, le quatorzième dalaï-lama, chef spirituel et temporel du Tibet, territoire sous contrôle de la Chine communiste depuis neuf ans, prend la décision de fuir son palais de Lhassa, la capitale, pour rejoindre l'Inde. Cela fit suite à une révolte armée qui éclata le 10 mars 1959 et qui fut sévèrement réprimée par le gouvernement chinois, avec un nombre de victimes tibétaines estimé à plusieurs dizaines de milliers de personnes.

En 2024, 65 ans plus tard, cet anniversaire est évidemment perçu de manière totalement opposée en Chine et en Inde, ainsi qu'au Canada, où se trouve l’une des plus grandes communautés de Tibétains en dehors de l’Asie.

La Chine vante ses bienfaits au Tibet, mais les journalistes étrangers ne peuvent accéder à ce territoire

Cette année, à Pékin, la presse officielle s’est montrée très discrète sur ce sujet. Certaines années, les médias officiels rappelaient la position de Pékin sur les évènements de mars 1959, mais cette fois, ils n'ont rien dit sur ce sujet qui reste extrêmement sensible. Cependant hier, le 10 mars jour de l’anniversaire du soulèvement tibétain en 1959, en pleine session annuelle du parlement chinois, l’un des membres d’une des deux assemblées venu du Tibet a été choisi pour évoquer en public "les réalisations extraordinaires de la Chine au Tibet". La semaine dernière, le ministère chinois des Affaires étrangères a aussi rappelé que la Chine a apporté stabilité sociale, croissance économique, et, selon les termes officiels, "harmonie entre les diverses croyances religieuses".

Ce discours de propagande est destiné à contrecarrer la vision opposée défendue par les militants tibétains en exil qui, eux, dénoncent la pression exercée par Pékin sur la région autonome, ainsi que les accusations par l'ONU de violations des droits de l’homme au Tibet qui visent toujours le régime de Pékin. Il y a quelques jours encore, le Haut-commissaire de l’ONU aux droits de l'homme a évoqué des lois, des politiques et des pratiques contraires aux droits humains. Pékin a rejeté ces accusations en évoquant des allégations sans fondement et un prétexte pour s’immiscer dans les affaires intérieures de la Chine.

Difficile de savoir ce qui se passe précisément au Tibet, car la région est soumise à une surveillance toujours très stricte. Si les journalistes étrangers peuvent se rendre au Xinjiang, où se trouve la majorité ouïghoure, cela reste impossible et interdit au Tibet.

En Inde, le Tibet occupe une place particulière dans le cœur des Indiens

En Inde, cet anniversaire a aussi résonné car c’est ici que le gouvernement tibétain en exil a trouvé refuge en 1960. Le dalaï-Lama, leader spirituel des Tibétains, vit dans la ville himalayenne de Dharamsala et, à 88 ans, il est également révéré par les Indiens. L’Inde est majoritairement hindoue mais elle a longtemps été bouddhiste et pour beaucoup ces deux religions appartiennent, en quelque sorte, à la même famille. Narendra Modi, le Premier ministre, a d’ailleurs fait savoir qu’il avait appelé personnellement le dalaï-Lama pour son dernier anniversaire. Les Tibétains sont plus de 80 000 aujourd’hui en Inde, implantés notamment à Dharamsala mais aussi au sud du pays dans la ville de Bylakuppe et son célèbre monastère. 

Ce dimanche, ils étaient plusieurs centaines rassemblées à New Delhi, en brandissant le drapeau tibétain pour les 65 ans de cet événement tragique. Avec des slogans tels que "La Chine doit quitter le Tibet", l'Inde se montre relativement tolérante envers ces commémorations et manifestations, bien qu’elle ne reconnaisse pas officiellement l’existence du Tibet. La solidarité des Indiens envers les Tibétains s’explique aussi par le fait que l’Inde et la Chine se disputent leur frontière dans l’Himalaya depuis 1962.

Le Canada, grand pays d'accueil pour les exilés

Au Canada, on trouve plus de 9 000 personnes d’origine tibétaine, d’après le dernier recensement de 2022, et ce nombre grandit chaque année. Il y a 30 ans, elles n'étaient que quelques centaines. Cette expansion s’explique en trois phases d’après Dicky Chhoyang, ancienne ministre des Affaires étrangères pour l’administration centrale tibétaine : "Il y a eu la première vague, au début des années 70, dont je fais partie, décrit-elle, puis dans les années 90, beaucoup de Tibétains, qui avaient des difficultés à obtenir l’asile politique aux États-Unis, sont venus au Canada. Et la troisième vague fut en 2010, le gouvernement canadien a accepté d’accueillir 1 000 réfugiés Tibétains."

Une grande partie de la communauté vit notamment à Toronto, en Ontario, où une femme tibétaine est arrivée au pouvoir en 2018, une première en Amérique du Nord. Bhutila Karpoche, élue à l’Assemblée législative de la province de l’Ontario, représente une vraie fierté pour la communauté ici : "Elle a fait en sorte que le mois de juillet soit déclaré comme le mois pour célébrer l’héritage culturel tibétain, raconte Dicky Chhoyang. Elle représente aussi la façon dont les Tibétains s’intègrent bien dans leur communauté d’accueil." Après une première élection en 2018, Bhutila Karpoche a été réélue députée législative en 2022.

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