Le tourisme dans les zones dangereuses ou défavorisées en Irak et en Afrique du Sud

Des agences de voyages proposent de se rendre dans des "zones rouges", des lieux jugés à risques en Irak, ou de visiter des townships, des quartiers pauvres en Afrique du Sud. Nos correspondants nous expliquent l'enjeu pour ces pays.
Article rédigé par franceinfo - Claire Bargelès et Marie-Charlotte Roupie
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6 min
Des touristes au pont Abbasside dans le Kurdistan, au nord de l'Irak, en avril 2023. (SAFIN HAMID / AFP)

Alors que le Salon Mondial du Tourisme se déroule du mercredi 14 au dimanche 17 mars porte de Versailles, à Paris, on s'intéresse à une forme de tourisme un peu particulière, celle qui s'invite de plus en plus dans les zones dangereuses ou défavorisées. En Irak, par exemple, des agences de voyages proposent de visiter des "zones rouges", des endroits jugés dangereux pour les touristes. Tandis qu'en Afrique du Sud, des tour-opérateurs proposent de visiter des townships, ces zones, parmi les plus pauvres, où les populations noires et métisses étaient obligées de vivre sous l'apartheid.

Irak : 2,5 millions de touristes en moins d'un an

Certaines agences en ont fait leur spécialité : organiser des voyages dans des pays comme l'Ukraine, la Corée du Nord, l'Afghanistan ou encore l'Irak. Le Quai d'Orsay, comme d'autres ministères des Affaires étrangères européens et américains, classe la totalité du territoire irakien en zone rouge pour risque terroriste, d'enlèvement ou liés aux mines et explosifs, entre autres. Et pourtant, des milliers de touristes s'y rendent chaque année.

En Irak, ce phénomène de tourisme en "zone rouge" n'est pas vraiment nouveau. Depuis des années, de nombreux groupes sur les réseaux sociaux existent et échangent des conseils pour voyager de façon indépendante à travers le pays : les procédures de visas, par où entrer, où dormir, quels sites visités… L'objectif, comme l'explique un universitaire français de retour de Corée du Nord, et a visité Bagdad il y a quelques mois, c'est de découvrir le monde hors des sentiers battus. Ce qui l'intéressait particulièrement, c'était le patrimoine multimillénaire irakien qui avait survécu aux guerres.

Mais la question sécuritaire se pose dans ces pays considérés comme "zone rouge". Haana Babashekh, cheffe de projet d'une agence de voyage qui organise des circuits en Irak depuis 30 ans, explique que pour leurs clients, des précautions sont prises en fonction de l'évolution de la situation dans le pays. "Par exemple, quand ce n'était pas encore complètement sécurisé à Kirkouk et Mossoul, nous organisions des circuits au Kurdistan et c'était sécurisé. Et jusqu'à ce que ce soit complètement sûr pour nos clients, nous ne proposions plus de visites dans ces endroits. Qui aurait emmené ses clients à Mossoul quand Daesh était encore là ?", dit-elle.

Un enjeu économique pour le pays

La situation sécuritaire a changé en Irak depuis la fin de la guerre contre Daesh. Même s'il reste déconseillé de voyager dans le pays, les risques ont diminué et le tourisme revient. Il est facilité par la possibilité, depuis 2021, d'obtenir un visa à l'arrivée à l'aéroport pour de nombreuses nationalités. Entre fin 2022 et mi-2023, 2,5 millions de touristes ont visité l'Irak. Parmi eux, de plus en plus d'Européens et d'Américains. "C'est assez sûr et ils sont tellement intéressés de visiter Mossoul. Même maintenant, nous proposons différents types de circuits, notamment la visite de camps yézidis, assis avec les familles.", explique Haana Babashekh.

L'Irak et le Kurdistan irakien cherchent à développer le tourisme, particulièrement depuis deux ans, en soutenant le développement de nouvelles infrastructures. L'enjeu est économique, si le pays restait stable, le tourisme pourrait constituer une nouvelle manne financière pour l'Irak qui s'appuie, pour l'heure, presque exclusivement sur sa production pétrolière.

Afrique du Sud : la visite des townships encouragée par le gouvernement

À côté des safaris et des musées, en Afrique du Sud, des tour-opérateurs proposent, désormais, des visites de ces zones où les populations noires et métisses étaient obligées de vivre sous l'apartheid, et qui restent encore en 2024 parmi les plus pauvres du pays : les townships. La niche du tourisme des townships est même encouragée par le gouvernement sud-africain, qui cherche à diversifier l'offre pour les visiteurs. Pour ceux qui les organisent, ces tours permettent d'ouvrir les yeux sur la réalité du pays. Par exemple dans la ville du Cap, les touristes pourraient visiter exclusivement le centre-ville et les vignobles, sans jamais avoir connaissance de l'exclusion urbaine de la majorité de la population. Mais le risque est toujours là de tomber dans une forme de voyeurisme et de commercialisation de la pauvreté.

Tout dépend, en fait, du modèle choisi pour penser ces tours et ces visites. Ces dernières années, l'accent est davantage mis sur l'aspect historique et culturel, avec une volonté de changer les regards sur les townships et mettre en avant leur dynamisme et leur côté créatif. Mais là aussi, le risque est de donner une image déformée, de lieux emplis d'espoir où les gens sont heureux de leurs conditions, comme une étude basée sur des commentaires laissés sur Tripadvisor l'a récemment démontré. Et l'organisation du tour doit donc être minutieusement bien pensée. Enfin, si les visites sont organisées avec les communautés locales, elles représentent des retombées financières et des sources d'emploi pour des zones souvent éloignées des centres économiques du pays.

Le tourisme dans les écoles au Zimbabwe

Dans la région australe, s'est également implanté un tourisme d'écoles, notamment au Zimbabwe, et ce n'est pas, là non plus, sans conséquences. Certaines écoles ont développé différents modèles de partenariat avec des compagnies touristiques, afin d'obtenir des financements. En retour, elles s'engagent à ouvrir leurs portes, pour que des touristes internationaux puissent les visiter et échanger avec les élèves. Les quelques recherches qui ont été faites sur ce type de tourisme ont montré que ces visites dérangent les rythmes des enseignants et des écoliers, sans compter qu'elles peuvent renforcer les stéréotypes sur l'Afrique, bien qu'elles contribuent au fonctionnement économique de telles écoles.

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