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Comment les gouvernements ont profité de l'épidémie de Covid-19 pour intensifier leur politique répressive au Liban, au Nigeria et en Hongrie

Dans le club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir ce qui se passe ailleurs dans le monde. Aujourd'hui, l'effet désastreux de la crise sanitaire sur les droits humains au Liban, au Nigeria et en Hongrie.

Article rédigé par franceinfo - Florence La Bruyère, Aurélien Colly, Liza Fabbian
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Des manifestants sont détenus dans un camion après avoir été arrêtés lors d'une manifestation contre la brutalité policière, à Lagos, au Nigeria, le 13 février 2021. (PIUS UTOMI EKPEI / AFP)

L'épidémie de Covid-19 entraîne de lourdes conséquences sur les droits humains. C’est le constat d’Amnesty International, qui vient de publier son rapport annuel. Certains États ont en effet profité de la pandémie pour réprimer la dissidence, les minorités dans leur pays, ou encore réduire la liberté de la presse.

>> Amnesty International estime qu'il y "a trop souvent un usage excessif de la force par les forces de l'ordre" en France

En Hongrie, un accès très limité à l'information

Le gouvernement hongrois de Viktor Orban est pointé du doigt par Amnesty International car il a imposé des restrictions injustifiées à la liberté de la presse, il a énormément limité l’accès à l’information. Alors qu’il serait urgent d’avoir des données précises pour combattre la crise sanitaire, les médias indépendants n’ont pas le droit de faire des reportages dans les hôpitaux ou dans les centres de vaccination. La presse étrangère non plus. Seule la télévision publique, complètement à la botte du gouvernement, a le droit d’y entrer. Les médecins et le personnel soignant n’ont pas le droit de parler à la presse, sous peine d’être renvoyés.

Un directeur d’hôpital n’a pas le droit de dire combien de malades sont en soins intensifs dans son établissement, on n’a que des chiffres globaux. Selon les données officielles, l’épidémie fait entre 200 et 300 morts par jour en Hongrie. C’est plus qu’en France, alors qu’il y a moins de 10 millions d’habitants. Le gouvernement ne répond jamais aux centaines de questions envoyées par email par la presse. C’est un vrai blocus de l’information qui est imposée par le gouvernement Orban.

Les autorités ont par ailleurs profité de la crise sanitaire pour faire passer des lois anti-LGBT. En mai 2020, le Parlement a adopté une loi qui empêche les personnes transgenres de faire reconnaître leur nouveau genre sur leurs papiers d’identité. En décembre, une autre loi a privé les homosexuels de la possibilité d’adopter des enfants. Ces lois ont fait couler beaucoup d’encre, ont agité l’opinion internationale. Pendant ce temps, les fidèles du clan au pouvoir se sont enrichis, grâce à des privatisations et des contrats publics faramineux. Les lois anti-LGBT ont servi d’écran de fumée pour masquer la corruption.

Au Liban, une précarité encore plus forte pour les réfugiés

Au Proche-Orient, la lutte contre le Covid-19 a aussi été instrumentalisée pour serrer la vis. Mais Amnesty estime surtout que 2020 a été "une année catastrophique pour les réfugiés, les migrants et les minorités". À cause du coronavirus, ces populations, déjà marginalisées, se sont retrouvées dans une situation plus précaire que jamais, avec une pandémie qui a exacerbé les inégalités, selon l’ONG. Amnesty cite par exemple la discrimination institutionnalisée en Israël et dans les territoires occupés, qui est apparue "dans toute son ampleur quand les autorités israéliennes se sont abstenues de donner accès la vaccination à cinq millions de Palestiniens en Cisjordanie".

L’ONG épingle aussi la Jordanie, qui accueille sur son sol près de 700 000 réfugiés syriens, 70 000 Irakiens et plus de deux millions de Palestiniens. Au nom de la lutte contre le Covid, les autorités jordaniennes ont interdit des convois humanitaires, limité la circulation hors des camps, poussé vers la Syrie certains réfugiés. Situation pire au Liban, où les réfugiés palestiniens et syriens subissent en plus la crise économique et financière sans précédent que traverse le pays.

Au Moyen-Orient, les travailleurs migrants sont aussi les grandes victimes de cette pandémie. Amnesty souligne que la pandémie a particulièrement aggravé la situation de cette main-d’œuvre bon marché venue d’Afrique, du sous-continent indien ou d’Asie. Dans les monarchies du Golfe, en Jordanie et au Liban, où ces travailleurs sont parrainés par leurs employeurs et dépendent entièrement d’eux, l’ONG met en avant les multiples atteintes à leurs droits, les licenciements arbitraires, les expulsions, les non-paiements de salaire, mais aussi l’absence d’équipements de protection ou de couverture santé.

Ce sont par exemple des employées de maison d’Éthiopie ou des Philippines qui travaillent au Liban ou en Jordanie, ou encore des ouvriers venus d’Inde et du Bangladesh, au Qatar ou aux Émirats. Discrimination aussi dans l’accès aux tests, aux soins et aux vaccins pour ces populations, selon Amnesty International.

Au Nigeria, des affrontements sanglants entre population et police

Au Nigeria, là où le premier cas de Covid-19 a été détecté en Afrique subsaharienne, la pandémie a là-aussi été l’occasion d’un tour de vis de la part des autorités, notamment pour faire appliquer les restrictions de circulations. Les frustrations accumulées, la dégradation de la situation économique pour le premier producteur de brut africain, ont conduit à un mouvement de contestation inédit en octobre 2020.

Amnesty International note que "les revendications du mouvement Black Lives Matter a eu un écho planétaire". En octobre 2020, la jeunesse nigériane est ainsi descendue à son tour dans la rue pour dénoncer les violences policières dans le pays le plus peuplé d'Afrique. Demander aussi la dissolution d’une unité de police, la Sars, accusée de très nombreux abus et violations des droits humains. Le mouvement #EndSars a d’abord vu le jour sur Twitter, puis les protestations se sont diffusées dans la rue à partir de la mi-octobre. Des manifestations pacifiques d’ampleur, tout à fait inédites au Nigeria. Finalement, ce mouvement a abouti à la dissolution de cette brigade spéciale. Mais cette victoire a été obtenue "au prix d’énormes pertes", rappelle Amnesty International, puisqu'"au moins 56 personnes ont été tuées dans le pays" en marge de ces manifestations, selon l'ONG.

Le point culminant de cette répression a eu lieu le 20 octobre 2020, sur le péage de Lekki à Lagos, lorsque les forces de sécurité ont ouvert le feu sur les manifestants qui bravaient pacifiquement le couvre-feu tout juste imposé par les autorités de la mégalopole nigériane. Douze personnes ont perdu la vie ce soir-là, selon Amnesty International. Cette répression brutale a conduit dans les jours suivants à une véritable explosion de violence dans tout le sud du Nigeria. De nombreux bâtiments publics ont été incendiés, une prison attaquée à Lagos, mais la population en colère s’en est surtout pris à plusieurs hangars contenant de l’aide alimentaire d’urgence jamais distribuée. Des dons destinés aux personnes rendues vulnérables par la crise sanitaire, et dont une bonne partie aurait sans doute été détournée par la suite.

Au-delà de ce mouvement de protestation inédit, le Nigeria continue aussi de faire face à l’insurrection des jihadistes de Boko Haram, au nord-est. Un conflit qui dure depuis plus de dix ans maintenant. En décembre, le bureau de la procureure de la Cour pénale internationale a achevé une enquête préliminaire de dix ans sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre commis par Boko Haram et les forces de sécurité nigérianes, en attendant une éventuelle enquête officielle.

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