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Violences en Corse : "C'est comme ça qu'il faut montrer les choses pour que ça bouge", justifie un jeune manifestant

Alors que la manifestation en soutien à Yvan Colonna a fait une soixantaine de blessés dimanche à Bastia (Haute-Corse), des Corses racontent à franceinfo comment l'agression du nationaliste a ravivé leur colère contre l'État français. 

Article rédigé par Alain Gastal
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4 min
Un manifestant s'apprête à jeter un projectile lors de la manifestation en soutien à Yvan Colonna, le 13 mars 2022 à Bastia (Haute-Corse). (PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP)

Une soixantaine de personnes, dont une majorité de forces de l'ordre, ont été blessées dimanche 13 mars à Bastia (Haute-Corse) lors d'un rassemblement en soutien à Yvan Colonna, dans le coma depuis son agression par un codétenu dans la prison d'Arles (Bouches-du-Rhône). La manifestation a tourné à l'affrontement pendant six heures avec les policiers. Pour tenter d'apaiser les tensions qui durent depuis le 2 mars et l'agression de celui qui a été condamné pour l'assassinat du préfet Érignac, Gérald Darmanin, le ministre de l'Intérieur, se rendra sur place mercredi et jeudi. 

L'agression d'Yvan Colonna a, en quelque sorte, "rallumé la mèche" car le militant nationaliste est devenu une figure de la Corse. Sa cavale de quatre ans dans le maquis et son refus obstiné de se reconnaître coupable de l'assassinat du préfet Érignac, malgré trois procès et autant de condamnations, ont fait de lui une sorte de héros pour une partie des Corses, même si d'autres sont mal à l'aise avec ça. On voit ici ou là des graffitis "Gloire à Yvan". 

L'agression a donc réveillé une émotion et une colère. "En Corse, nous avons la prison de Borgo. S'il avait été à Borgo, il n'aurait pas été en danger parce que les détenus n'y sont pas jihadistes ou particulièrement dangereux", assure Vanina, persuadée que rien ne se serait produit si Yvan Colonna avait été transféré comme il le demandait.

"On demande à ce que le droit soit appliqué et que les prisonniers viennent faire leur peine sur leurs terres."

Vanina, une femme corse

à franceinfo

Vanina pousse même la réflexion jusqu'à demander la libération des trois détenus du commando Érignac. "Il est temps qu'ils soient libérés. Ils ont suffisamment payé. Ils ont été condamnés pour l'acte qu'ils ont fait – ou pas d'ailleurs, parce qu'Yvan Colonna a toujours clamé son innocence. L'État aurait pu avouer la responsabilité qu'il a dans cette affaire."

Des (très) jeunes dans les cortèges

Dans les cortèges, la présence massive de jeunes – parfois très jeunes – frappe. Ceux qui ont affronté les forces de l'ordre durant six heures dimanche à Bastia avaient 14 ou 15 ans. "Aujourd'hui, on milite avec de la violence. C'est malheureux mais nous, les jeunes, on pense que c'est comme ça qu'il faut montrer les choses pour que ça bouge", confirme un jeune un peu plus âgé, croisé à Ajaccio. Il déplore que la femme d'Yvan Colonna n'ait "pas eu de retour particulier" quand elle s'est adressée directement à Emmanuel Macron. 

Des voitures brûlent à Ajaccio (Corse-du-Sud), jeudi 10 mars 2022. (VIRGINIE LORDA / RADIO FRANCE)

La question de la proximité des prisonnniers corses est aussi importante pour lui que pour Vanina. "On milite pour que leurs familles puissent les voir sur notre île, chez eux. On connaît tous des gens qui sont en prison. C'est difficile de partir sur le continent pour les voir et d'avoir des liens avec eux."

Une forme de fierté chez les plus âgés

Aux côtés de ces jeunes, il y a aussi des militants plus aguerris. Parfois, on trouve même des pères de famille, qui tentent de faire tampon. "Je comprends la colère de notre jeunesse. Après, il ne faut pas qu'ils mettent leur vie en danger. Ça ne sert strictement à rien", témoigne un père partagé entre la peur de la violence et la satisfaction de voir la jeune génération reprendre le flambeau. "Même si c'est compliqué de répondre à certaines interrogations, il faut se mettre à leur place. Leurs ancêtres se sont battus pendant des années et il n'y a pas eu de résultats." Il reconnaît que "quelque chose" a rallumé la flamme des revendications.

"Ils ont décidé d'exprimer leur ras-le-bol et leur colère. Ils se battent pour leur Corse, leur terre. C'est tout à fait logique."

Le père d'un jeune manifestant corse

à franceinfo

Depuis une semaine, le gouvernement a fait plusieurs gestes envers les Corses. Le statut de détenu particulièrement signalé (DPS) des deux derniers membres du commando Erignac a ainsi été levé. Ils devraient pouvoir être transférés en Corse, ainsi qu'Yvan Colonna si son état le permet. Mais ça n'a pas suffi à calmer la colère. C'est même parfois l'inverse qui se passe. Certains sont persuadés que seules les démonstrations violentes sont efficaces.

Davantage de pouvoirs pour l'exécutif régional

C'est là que doit intervenir la politique. Or, désormais, la mouvance nationaliste qui appelle à manifester est aussi aux manettes de la collectivité unique. Le patron de l'exécutif, Gilles Simeoni, estime que cette colère est aussi le résultat d'un manque de pouvoirs attribués à sa collectivité. "Ce n'est pas le pouvoir exercé par la collectivité de Corse que les jeunes remettent en cause. C'est précisément le fait que les décisions de la collectivité de Corse ne sont pas prises en compte par l'État", juge-t-il.

Il cherche donc un débouché pour éviter un nouveau cycle de violences. "À travers leur colère, les jeunes Corses disent aujourd'hui qu'il y a un véritable déficit de prise en compte des choix faits par le suffrage universel. C'est le véritable problème. Nous espérions beaucoup : que notre peuple soit reconnu et respecté, que nous puissions choisir et construire notre présent et notre avenir. Or, on se rend compte que la démocratie ne fonctionne pas parce que Paris ne respecte pas le suffrage universel."

Comme beaucoup de Corses, Gilles Simeoni demande un statut d'autonomie pour l'île. La question sera potentiellement au menu des discussions avec le ministre de l'Intérieur. Reste à savoir ce qui pourrait bouger concrètement, à moins d'un mois de l'élection présidentielle.

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