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Témoignages
"On ne sait plus qui on est, ni ce que l'on vaut" : l'inquiétude des licenciés économiques du secteur de l'habillement
Avec près de 38 000 équivalents temps plein en moins entre 2010 et 2020 selon l'Insee, le secteur de l'habillement ne sort pas de la crise. Le sort de Burton of London et d'une vingtaine de Galeries Lafayette va se jouer cette semaine devant la justice. Ces licenciés économiques, majoritairement des femmes, ont été marqués par la rapidité brutale de ces plans sociaux. Exemple phare : Camaïeu, l'enseigne culte née dans les années 1980. Le 1er octobre 2022, après des mois de procédure judiciaire, les magasins baissent tous le rideau. On devine encore le logo sur la façade défraîchie d'un immeuble du centre de Vendôme dans le Loir-et-Cher.
Karine Poirier a travaillé chez Camaïeu pendant plus de 20 ans et se rappelle d'une sensation de vide à la fermeture. "On est pris dans un engrenage administratif et judiciaire et on attend les nouvelles un peu tous les jours. On ne sait plus qui on est, on ne sait pas ce que l'on vaut, on n'a aucune idée de ce qu'on peut faire. C'est vite la descente aux enfers".
L’angoisse de ne plus retrouver d'emploi et de ne plus s'en sortir financièrement traverse également Sophie Virepinte, vendeuse chez Pimkie à Limoges pendant 31 ans, licenciée il y a trois mois. La marque a fermé 23 magasins l'année dernière et 74 autres cette année.
La peur de ne pas retrouver de travail
Sophie fait des travaux dans son appartement pour éviter de cogiter. "J'ai un peu le trouillomètre à zéro on va dire, confie-t-elle. Je suis propriétaire, je n'avais pas un sou de côté, j'ai acheté pour laisser quelque chose à mes enfants. Si je ne retrouve pas quelque chose, je ne peux plus payer mon crédit, ma copropriété. Je suis presque en train de me dire que je vais faire de la colocation pour pouvoir garder mon 'chez-moi'".
"En tant que vendeuse, on a très peu de reconnaissance, dit-elle. C'est mal payé, on est debout neuf à dix heures par jour et le nombre de commerces qui sont en redressement judiciaire est important. Je travaillais dans une galerie où il y avait 52 magasins, là il doit en rester 30", ajoute Sophie.
Pendant un an, avec le plan social, Sophie doit toucher l'équivalent de son salaire mais elle s'inquiète pour l'après. À plus de 50 ans, sans diplôme et avec une seule expérience professionnelle et un rendez-vous d’une heure toutes les deux semaines avec sa conseillère, elle se demande si elle pourra atteindre son objectif : trouver un emploi hors commerce.
La plupart des vendeuses contactées partagent son avis : le contexte économique rebute. Selon l'Insee, 23 000 équivalents temps plein ont disparu entre 2019 et 2021 dans le secteur de l'habillement.
Un taux de retour à l'emploi difficile
Mais il est difficile de donner un chiffre global du taux de retour à l'emploi de ces personnes licenciées. Pour Camaïeu par exemple, un an et demi après, un quart des CDI licenciés ont retrouvé un emploi de plus de quatre mois selon les chiffres de fin janvier du cabinet Miquel Aras, en charge du suivi du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE). Les 1 400 autres suivent des formations, enchaînent CDD et intérims
ou se retrouvent au chômage.
Aussi, il y a celles qui ont décidé de créer leur entreprise comme Nadège et Flavie. Elles travaillaient, comme Karine, chez Camaïeu à Vendôme. Elles ont ouvert au mois de septembre une boutique de vêtements de seconde main, Flana&Co. Toutes les deux disent avoir souffert de la situation de Camaïeu mais se sentent aujourd'hui très épanouies dans un projet plus responsable et plus écologique.
"Je ne voulais plus être un numéro sur qui on pouvait compter pendant des années et du jour au lendemain, tout pouvait s'effondrer."
Flavie, ancienne vendeuse chez Camaïeuà franceinfo
Un "numéro", le terme revient souvent avec le reproche, quelle que soit l'enseigne, d'être confrontés au silence des directions et le sentiment d'être oubliés des pouvoirs publics.
Chez Camaïeu, des salariés attendent toujours des réponses, y compris judiciaires, pour comprendre ce qui a mené à la fin de l'entreprise. C'est le cas de Karine Poirier, qui après des mois de recherches a trouvé un CDI l'an dernier chez l'agence immobilière Orpi. "Ça se passe super bien, dit-elle. Je ne dis pas que les débuts n'ont pas été difficiles, il faut se réadapter et être curieux. Et puis j'ai quand même eu une directrice très compréhensive et qui m'a laissé ma chance".
Karine a perdu en salaire, près de 800 euros par mois, mais elle a gagné en confort dit-elle, car ses journées sont moins longues notamment. Dans son nouveau bureau, on aperçoit son ancien magasin. "Tous les jours, je rendais des clientes belles et heureuses et c'était super", se remémore-t-elle. Malgré ce qui s'est passé, si Camaïeu rouvrait, elle signerait de nouveau.
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