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Reportage
Terminal de paiement, versement par QR code... Comment certains sans-abri s'adaptent à la dématérialisation des moyens de paiement

La disparition progressive de l'argent liquide et des tickets-restaurants en papier affecte les ressources des personnes sans-abri. Des initiatives voient jour pour tenter de trouver des alternatives face à cette dématérialisation.
Article rédigé par Valentin Dunate - Edité par Thomas Destelle
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
Une personne fait la manche dans la rue. Photo d'illustration. (PHILIPPE NEU / MAXPPP)

C'est une situation que nous avons tous vécue : une personne sans-abri nous demande de l'argent mais nous n'avons pas de monnaie. Cette scène, les personnes qui font la manche la vivent des dizaines, voire des centaines de fois par jour. "Les gens nous disent qu'il n'y a plus de pièces, explique une femme sans-abri à Paris. Les tickets-restos, c'est fini, maintenant c'est la carte."

La situation est de plus en plus compliquée pour les plus démunis, avec la dématérialisation de nos moyens de paiement. "Même pour moi qui suis une fille, c'est plus dur", confie la sans-abri. "Avant, on nous aidait tout le temps, confirme un autre sans-abri. C'était tout le temps un petit billet ou une petite pièce. Et pendant dix ans, je n'ai jamais vu autant de galère que maintenant."

Une situation "dramatique"

Ce constat est également établi par plusieurs associations comme Médecins du monde, qui qualifie cette situation de "dramatique" d'autant que 60% des personnes sans-abri, interrogées lors de la dernière Nuit de la solidarité, expliquent n'avoir aucune ressource financière ou vivre uniquement de la mendicité.

Pour faire face à nos nouvelles habitudes et à nos moyens de paiement dématérialisés, certains sans-abri se sont adaptés. Quelques-uns ont des terminaux de paiement sur eux. Il y en a très peu mais nous avons pu obtenir plusieurs témoignages qui décrivent à peu près la même scène. Benoît par exemple était à la terrasse d'un bar :

"On buvait un verre tranquillement avec mes amis, et un SDF nous demande si on n'a pas une pièce ou une clope ou un ticket-restaurant. Et on lui dit 'non, désolé', mais je lui dis en rigolant : 'Par contre, si tu prends la carte, j'ai la mienne.' Et il dit 'oui, je prends la carte', et il sort un petit ' SumUp' !"

Benoît

à franceinfo

Benoît et ses amis ont au final tous versé un peu d'argent avec un paiement sans contact. Le SumUp est un petit terminal bancaire qui coûte 30 euros. Tous les sans-abri ne peuvent pas se le payer et c'est un objet qu'ils peuvent se faire voler. Des raisons qui expliquent notamment pourquoi son utilisation reste marginale.

Des systèmes innovants

Pour trouver un système réellement adapté aux sans-abri, il y a quelques sociétés qui tentent de trouver des solutions. Une expérimentation va être lancée par la start-up Obole dans deux mois. François Jacob est le cofondateur de ce projet, qu'il nous présente en prenant un exemple concret : "Je croise Martine dans la rue qui mendie et moi j'ai un téléphone. Je scanne tout simplement le QR code, c'est-à-dire ce petit code que vous voyez de plus en plus partout, depuis les pass sanitaires, avec mon téléphone sur la carte de Martine, c'est vraiment sa carte. Je scanne ce code et ça m'emmène directement sur une page sur internet sur lequel je peux choisir le montant de mon nom. Donc si j'ai Apple Pay ou Google Pay ou PayPal, je vais vers le moyen de paiement qui est déjà enregistré sur mon téléphone. Le paiement se fait. Cela va sur un compte qui est affilié à l'association qui a parrainé Martine. Mais ça va à terme sur la carte de Martine qui peut effectivement l'utiliser vers un commerce, une boulangerie ou autre."

Une cinquantaine de cartes seront donc distribuées. À noter que dans ce cas précis, la personne sans-abri n'a pas besoin de compte bancaire, ce qui permet de garantir son anonymat. À Lyon une autre expérimentation a été lancée en début d'année - avec également un système de QR Code. Le résultat est que le panier du don était plus élevé. Quatre personnes ont testé ce dispositif - donc cela reste vraiment anecdotique pour l'instant en France.

L'exemple du Kenya

En revanche, dans d'autres pays du monde, ces pratiques sont plutôt répandues. "L'exemple du Kenya peut venir à l'esprit, expose Julien Damont sociologue et professeur à Science Po. Le pays est connu pour avoir développé un système qui s'appelle M-Pesa. Le M est pour mobile et pesa en swahili signifie argent. Cela a été une révolution sur les 15-20 dernières années, en particulier dans les bidonvilles ou dans les zones rurales au Kenya."

"Nous sommes peut-être à un état de développement qui n'est pas aussi important que dans d'autres pays, qui sont d'ailleurs des pays plus pauvres au départ et où la dématérialisation a absolument tout changé pour tout le monde, les plus pauvres en particulier."

Julien Damont, sociologue et professeur à Science po

à franceinfo

Nous en sommes très loin en France. Et pour les associations qui suivent les sans-abri, cela n'est pas vraiment la priorité qui est d'investir beaucoup plus dans l'accès au logement ou au soin. La fondation Abbé Pierre rappelle qu'il y a 330 000 personnes sans domicile en France. Un chiffre qui a plus que doublé en France en dix ans.

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