Reportage
"Pour moi c'était une erreur" : quand le détatouage permet de faire peau neuve

Près de 13 millions de Français sont tatoués, dont un tiers des moins de 35 ans. Parmi eux, certains le regrettent et décident de se faire détatouer. L’essor de cette pratique représente une manne pour les cliniques spécialisées.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Une séance de détatouage au studio DEMOS à Bordeaux. (FABIEN COTTEREAU / MAXPPP)

Trois centres dédiés exclusivement au détatouage existent en France : à Nantes, à Lyon et Paris, où franceinfo s'est rendu. Trois autres vont ouvrir leurs portes en 2024. Si le détatouage existe depuis longtemps, la pratique s'est totalement démocratisée ces dernières années grâce à des lasers de dernière génération qui doivent être maniés par des médecins. Il s'agit de lasers picosecondes qui envoient des ondes lumineuses extrêmement puissantes pour fragmenter les pigments d'encre.

La manipulation dure quelques minutes et c'est assez douloureux d'après Éleonore, 23 ans, qui a déjà fait deux séances. "Personnellement, je trouve que ça fait beaucoup plus mal que le tatouage, raconte-t-elle. C'est une sensation un peu de brûlures, comme un élastique qu'on nous éclate sur la peau."

Des raisons intimes souvent évoquées

Comme Éléonore, ils sont des milliers à souhaiter enlever leur tatouage, et une grande partie de ceux qui viennent dans le centre Ray Studios de Paris le font pour des raisons intimes, souvent en lien avec un amour passé. C'est le cas de Charles, 33 ans, qui ne souhaite plus voir le tatouage d'une chaussette, symbolisant une ancienne histoire. "J'estime qu'il n'a plus à faire partie de ma vie, pour moi, c'était une erreur, comme toute cette période de ma vie… Peut-être qu'effectivement, ça me rappelle un peu trop cette période et de le voir tous les jours dans la glace, ça me dérange un petit peu."

D'autres personnes n'aiment tout simplement plus ce qui est écrit sur leur corps, soit parce que ça a mal vieilli, soit parce que ce n'est plus tendance, comme le tatouage tribal ou le maquillage semi-permanent sur les sourcils, ce qu'a fait Marion.

"C'était une sorte de mode, que j'ai suivie et je l'ai vite regretté. Je ne sais même pas pourquoi j'ai fait ça."

Marion, cliente d'une clinique de détatouage

à franceinfo

Enfin, certains décident d'enlever des tatouages visibles pour des raisons professionnelles, comme intégrer la gendarmerie ou travailler dans le luxe.

Plusieurs séances sont nécessaires pour enlever son tatouage et le prix de la manipulation dépend de la taille et de la peau notamment. Globalement, se faire détatouer coûte plus cher que de se faire tatouer. Pour un petit tatouage, il faut compter 100 euros par séance, sachant qu'il en faut au moins trois. "Souvent, les gens comparent ça au prix du tatouage, et donc ils vont se dire 'Ah bah, mon tatouage m'a coûté tant et le détatouage va être un peu plus cher', explique Pierre Lecat, cofondateur et directeur général de Ray Studios. Mais nous, on compare ça plutôt à de l'épilation laser." Il assure que pour ce prix-là, les tatouages disparaissent totalement et il précise qu'il n'y a aucun risque sur la santé.

Peu de connaissances scientifiques

L'affirmation de Pierre Lecat est à relativiser, car comme l'explique le docteur Jean-Claude Larrouy, "les connaissances scientifiques actuelles sur la toxicité des nanoparticules sont insuffisantes pour vraiment faire une bonne évaluation du risque". Ce dermatologue, installé à Nice, alerte depuis plusieurs années et explique que "les fabricants de lasers picosecondes vendent des machines sans avoir fait la moindre étude sur le devenir des nanoparticules d'encre. Il y a une telle explosion de pigments, que ces nanoparticules n'ont pas le temps d'être digérées par les cellules du corps, les macrophages."

"Les nanoparticules d'encre ne restent pas dans la peau, elles vont directement dans le sang, les reins et surtout, malheureusement, dans le cerveau."

Jean-Claude Larrouy, dermatologue

à franceinfo

En décembre dernier, trois dermatologues américains ont également publié un article dans lequel ils parlent notamment de "réponses allergiques sous forme d'urticaire, et dans certains cas, l'anaphylaxie", une réaction allergique aiguë qui peut s'avérer mortelle.

Avec cette pratique du détatouage, la question de la signification même du tatouage est remise en question. Il faut savoir que le tatouage est une pratique ancestrale qui remonte aux hommes préhistoriques. Depuis la nuit des temps, l'homme marque son corps pour la vie. Pour Thibault de Saint-Maurice, chercheur en philosophie à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, le détatouage "est un signe de la façon dont la volonté de l'individu contemporain se pense comme étant toute-puissante. Même ce qui était presque 'éternel', ou en tout cas définitif, même ça, aujourd'hui, la puissance de la volonté individuelle peut le remettre en cause. Ça ne veut pas dire que nos contemporains ou tous ceux qui se tatouent et se détatouent sont des girouettes, ça veut dire qu'ils sont bien de leur époque, où c'est la volonté individuelle qui prime", conclut-il. C'est ce qui explique que le détatouage connaît actuellement une croissance exponentielle.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.