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Reportage
"Le 24 septembre, on sera là" : la Nouvelle-Calédonie sous tension à la veille de la date anniversaire du rattachement de l'archipel à la France
La Nouvelle-Calédonie retient son souffle à la veille de la fête de la citoyenneté mardi 24 septembre, date qui marque la prise de possession de l’archipel par la France en 1853. Des milliers de gendarmes et policiers sont déployés pour ne pas revivre les émeutes indépendantistes et les pillages de la mi-mai qui ont fait basculer la Nouvelle-Calédonie dans un climat d’insécurité qu’elle n’avait pas connu depuis les années 80. Depuis le début la crise, la vie quotidienne des habitants est bouleversée.
Chaque jour, depuis 4 mois, ils sont des centaines à attendre leur tour pour monter sur la "navette". Ces petites embarcations qui font des va-et-vient entre Nouméa et le secteur du Mont-Dore au sud. Le Mont-Dore, impossible d’y accéder par la seule route existante car elle traverse la tribu de Saint Louis, fief indépendantiste où se cristallisent les tensions.
Pendant des mois, il y avait l’insécurité, les vols de voitures avec violences par dizaines, des affrontements, des tirs... Trop dangereux.
"C'est comme si on était en prison"
Ces dernières semaines, c’est la gendarmerie qui bloque l’accès à la tribu pour raisons de sécurité. La route est coupée donc il reste le lagon pour aller se ravitailler à Nouméa, se faire soigner, ou tout simplement travailler comme Thérèse, 42 ans, cuisinière. "Dans le stress, dit-elle. Limite dans le burn-out. Obligée de me lever à 4h du matin pour pouvoir avoir une place dans le bateau de 6h..."
Une autre passagère, âgée de 47 ans et qui veut rester anonyme, habite au Mont Dore, elle est cheffe d’entreprise, elle est installée depuis 15 ans en Nouvelle-Calédonie : "On a perdu un petit peu le goût de vivre, on avait peur. On était dans les maisons, enfermés. Ceux qui étaient armés étaient armés. Ceux qui ont pu piéger leur terrain ont piégé leur terrain."
"Maintenant, chacun vit chez lui. Chacun vit avec son ethnie. C'est horrible."
une habitante du Mont-Doreà franceinfo
Retour sur la Grande terre. Sur la route provinciale, on voit passer les blindés de la gendarmerie juste devant nous, le "verrou" imposé par les autorités. Les entrées et sorties de la tribu de Saint-Louis sont filtrées, les habitants systématiquement contrôlés : "On est enfermés. C'est comme si on était en prison sauf que nous, on peut sortir à pied et juste à pied", témoigne l'un d'eux.
"Ils ont inspecté toutes nos cabas, on doit présenter une pièce d'identité pour rentrer chez nous. On n'a plus de larmes. J'ai vécu les événements de 84 et j'ai souhaité ne jamais revivre ça. Et à 71 ans, je revis ça...", raconte une autre avant d'être envahie par l'émotion : "J'ai trop mal, je ne peux pas, je n'y arrive plus, je ne trouve plus mes mots..."
"Il y a assez de morts, il faut que ça s'arrête"
Nous croisons ces femmes, qui se présentent comme des proches de l’un des deux hommes tués le 19 septembre lors d’une opération des forces de l’ordre à la tribu de Saint-Louis - portant à 13 le nombre de morts depuis le mois de mai, dont deux gendarmes. "Depuis que mon neveu est tombé, ma sœur n'a pas pleuré. Elle ne pleure pas comme une maman, elle a la haine", témoigne l'une de ces femmes. "Ils ont peut-être fait des choses qu'il ne faut pas faire, ajoute l'autre. Mais est-ce que tu penses qu'ils méritent de mourir comme ça ? Il y a assez de morts, il faut que ça s'arrête."
"Kanaki ce n'est pas mourir, kanaki c'est vivre."
une habitante de la tribu Saint-Louisà franceinfo
La Nouvelle-Calédonie est toujours à fleur de peau. La vigilance est donc maximale du côté des autorités avec cette date symbolique du 24 septembre avec un dispositif massif, bien plus important qu’au début de cette crise le 13 mai. Cette fois, 6 000 gendarmes et policiers sont mobilisés. Louis Le Franc est haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie : "Imaginez l'état d'esprit des Calédoniens. Ils n'ont pas envie de revivre un 13 mai qui pourrait être un 24 septembre. Des maisons pillées, brûlées... 313 tirs très exactement contre les gendarmes. On a des individus sur la tribu de Saint-Louis, n'ayons pas peur des mots, ce sont des tueurs. Ils veulent tuer du gendarme. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé des forces qui m'ont été accordées. Pour faire en sorte que ce qui s'est produit le 13 mai dernier ne se reproduise plus."
"On est chez nous ici"
Devant le Sénat coutumier à Nouméa et à deux pas d’un centre de formation incendié, des palettes, des tables, des chaises et beaucoup des drapeaux kanaks... Au cœur de la crise, c’était un barrage. C’est devenu un lieu de rendez-vous, en bord de route pour les militants comme Gilbert. "Résistance ! Le 24 septembre, on sera là pour montrer qu'on n'est pas d'accord avec l'Etat français", assure l'homme. "On est prêts à partir si Macron dit de sa bouche que la loi qu'ils ont mise en place sur le dégel du corps électoral, ils l'annulent. Parce que là, on dit comme ça qu'il est en sommeil mais il est encore sur la table. Ils veulent le passer en force, ils ne veulent pas nous écouter. On est chez nous ici", conclut-il.
Quatre mois après, la situation semble figée. Le couvre-feu est toujours d’actualité, le vivre-ensemble abîmé, l’économie aussi, le chômage menace, le coût des émeutes est évalué plus de deux milliards d’euros. Encore un défi pour la Nouvelle-Calédonie.
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