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Reportage
Dispositif "voyager-protéger" : dans les trains, la discrète protection des policiers

La mesure est discrètement entrée en vigueur il y a un peu plus d’un an : les policiers en civil peuvent voyager gratuitement en train, et, en échange, ils assurent la sécurité à bord. Début février, un policier est ainsi intervenu dans un TGV Colmar-Paris pour interpeller un homme qui menaçait de commettre un attentat.
Article rédigé par Aurélien Thirard
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Gare de Louhans (Saône-et-Loire) le 27 janvier 2023. Photo d'illustration (KETTY BEYONDAS / MAXPPP)

C’est un dispositif méconnu du grand public, mais très en vogue chez les policiers. Mis en place en janvier 2022, c’est l’aboutissement d’une vieille revendication des syndicats de police : bénéficier, au même titre que les gendarmes, de la gratuité lorsqu’ils voyagent en train. Ces derniers en bénéficient grâce à leur carte militaire.

>> Un homme interpellé après des "menaces d'attentat" à bord d'un TGV Colmar-Paris

Pour les policiers, c’est donnant-donnant : quand ils partent en vacances ou quand ils effectuent leur trajet domicile-travail, les policiers peuvent bénéficier de grosses réductions sur les TGV et les Intercités. Ainsi, ils ne paient depuis début janvier 2023 que 10 % du billet (50% du billet pour les Ouigo), contre 25% du billet en 2022, lors du lancement du dispositif. Selon les informations de franceinfo, l'enveloppe allouée au budget du dispositif représentait 34 millions d'euros. En contrepartie, les fonctionnaires de police doivent s’annoncer au contrôleur en gare avant de monter le train, ils voyagent avec leur arme de service, leurs menottes et leur gilet pare-balles – si possible − et ils sont disponibles si le contrôleur fait appel à eux en cas de menace. Précisons que seuls les policiers habilités à porter une arme peuvent bénéficier du dispositif.

Une efficacité éprouvée

Depuis sa mise en place l’année dernière, ce système, mis en place par le ministère de l’Intérieur, a déjà permis de réaliser des interventions marquantes. Le vendredi 3 février, un TGV part de Colmar peu avant 7 heures du matin en direction de Paris. Parmi les 280 passagers à bord, se trouve Antoine*. Ce policier de la PJ de Mulhouse vient assister à un salon dans la capitale, c’est la première fois qu’il voyage dans le cadre de "Voyager-protéger". Le train file vers Paris lorsque le contrôleur vient le trouver : un jeune homme menace de commettre un attentat dans le train. "Le contrôleur savait où j’étais assis, il est venu me voir pour me dire qu’un passager lui avait dit qu’il voulait se faire sauter dans le train, raconte Antoine. Vu les propos inquiétants, j’ai pris mon arme de service, ma paire de menottes." 

"Je me suis rendu avec le contrôleur dans le wagon-bar. Il y avait le jeune homme, je lui ai annoncé ma qualité de policier, il a été très étonné de la présence d’un policier à bord dans le train. Il m’a même dit 'Ah bon ? Vous ne ressemblez pas à un policier'."

Antoine, policier

à franceinfo

Le policier fouille le jeune homme, il ne trouve aucune arme sur lui ni produit dangereux. Une discussion entre eux deux s’engage alors. "J’ai remarqué à ce moment-là en discutant avec lui qu’il y avait un souci psychiatrique ou psychologique." Le policier évalue alors la situation et décide de faire intervenir des renforts. "J’ai demandé au contrôleur qu’il fasse appel aux forces de l’ordre au prochain arrêt pour s’assurer que ce jeune homme ne reparte pas dans la nature sans informations plus approfondies."

Commence une longue période délicate, pendant laquelle le policier doit gérer le jeune homme de 24 ans. "L’individu était très agité, il faisait des allers-retours dans le wagon-bar et il avait du mal à se concentrer, du coup, il fallait discuter avec lui, se souvient le policier. Une fois arrivés en gare de Lorraine-TGV, on a attendu les gendarmes qui ont arrêté le jeune homme. La rame a été évacuée le temps que les chiens passent dans les voitures pour voir s’il n’avait pas un sac ou des affaires dans le train." Pour cette intervention, une centaine de gendarmes auront été mobilisés, le train est mobilisé pendant deux heures à la gare de Lorraine-TGV avant de repartir.

Autre exemple, il y a tout juste un mois, gare du Nord à Paris, un homme agresse violemment des voyageurs à l'arme blanche, une sorte de crochet artisanal. Il blesse six personnes avant qu'un policier en civil et armé ne lui tire dessus pour l'arrêter. Cet agent s'apprêtait également à voyager dans le cadre du dispositif "Voyager-protéger".

Le dispositif est plébiscité par les policiers

Depuis un peu plus d’un an, selon les chiffres que dévoile franceinfo, les policiers utilisent largement le dispositif : 240 000 trajets ont ainsi été effectués pendant un an sur des trajets dits "de l’offre loisirs", pour des vacances par exemple. 212 abonnements domicile-travail ont été souscrits en un an. Durant tous ces trajets, les policiers ont réalisé 80 interventions, dont une dizaine a conduit à une interpellation pour des faits de violence, menaces, attouchements sexuels et harcèlement. "Ce dispositif rentre dans une stratégie de resserrement police - population", explique Sonia Fibleuil, la porte-parole de la police nationale.

"Il y a un chiffre noir important puisqu’en fait il n’y a pas d’obligation systématique de report de ces opérations aux états-majors, donc on pense que les interventions sont largement minorées."

Sonia Fibleuil, la porte-parole de la police nationale

à franceinfo

Ce que l’on sait aussi c’est que 77,7% des 240 000 trajets effectués dans le cadre de "l’offre loisirs" partent de Paris. Essentiellement, selon les syndicats, de jeunes policiers affectés en région parisienne pour leurs premiers postes, qui profitent de ces tarifs préférentiels pour rentrer chez eux à moindre coût.

Ce dispositif est aussi rentré dans les mœurs du côté de la SNCF. Les contrôleurs ont pris l’habitude de voyager en compagnie de ces policiers armés. Olivier est contrôleur à bord, notamment, de la ligne Paris-Marseille. Il voit des policiers à bord de ses trains quasiment à chaque trajet. "C’est très sécurisant pour nous effectivement de savoir que des policiers sont armés à bord, affirme Olivier. Inconsciemment, je pense que ça permet de nous rassurer de savoir que des personnes sont en capacité de nous aider en cas de problème ou d’attentat. Le but du jeu n’est pas d’expliquer qu’il y a des personnes armées à bord du train. On ne l’annonce pas à bord du train, évidemment."

Des risques pour les policiers ?

Car la discrétion, c’est bien ce qui fait tout l’intérêt de la mesure. Mais "Voyager-protéger" contient des angles morts, des questions qui restent en suspens, insiste-t-on auprès de certains syndicats de policiers. François Bersani, porte-parole d’Unité SGP-Police Île-de-France, s’interroge : "Que font les policiers avec leur arme quand ils sont dans une station balnéaire, quand ils sont dans un hébergement de type camping ?" Les armes, rappelons-le doivent être rangées dans un endroit sécurisé. Deuxièmement, poursuit François Bersani, "Une fois, imaginons, que le passager qui pose problème a été débarqué et remis aux forces de l’ordre, le policier remonte dans le train, et là, il est clairement identifié comme un policier pour tout le reste du voyage, avec des risques de représailles à son égard par des passagers." 

"On a un problème de sécurité de l’arme et du policier, une fois son intervention réalisée."

François Bersani, Unité SGP-Police

à franceinfo

Dans le cas de l'intervention dans le TGV Paris-Colmar, le policier a pu reprendre sa place pour terminer son voyage, sans autres formalités. Le jeune homme sera lui jugé en avril prochain à Metz pour ses propos menaçants. On peut enfin signaler que ce dispositif n'a, à notre connaissance, pas d'équivalent à l'étranger.

*Le prénom a été modifié

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