Reportage
"Ça ne fait pas de mal de prendre un peu de recul sur nos choix éducatifs" : immersion dans un stage de responsabilité parentale

La responsabilité parentale a animé les débats ces derniers mois, notamment quand Gabriel Attal a dit son souhait de développer les stages de responsabilité pour les parents défaillants ou violents. En réalité, ils existent déjà depuis 2007. Reportage dans l'un d'eux, au sein de l'association "La Sauvegarde du Nord".
Article rédigé par Mathilde Lemaire
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Un stage de responsabilité parentale organisé par l"association "La Sauvegarde du Nord". (MATHILDE LEMAIRE / RADIO FRANCE)

En avril 2024, le Premier ministre démissionnaire Gabriel Attal a dit son souhait d'un plan pour "replacer l'autorité au cœur de la République." Il entendait développer les stages de responsabilité pour les parents défaillants ou violents. En réalité, ils existent déjà depuis 2007. Régulièrement, les gouvernements parlent de les multiplier. Chaque année, plusieurs sont organisés par l'association agréée par la Justice "La Sauvegarde du Nord" à Lille.

Au siège de l’association, ce matin-là autour de la table, dans la grande salle de réunion, six papas et une maman d’âges différents prennent place dans le silence. Ils sont d’origines sociales et géographiques diverses et ne se connaissent pas. Ils se sont vus reprocher des négligences de la non-scolarisation de leurs enfants au non-paiement d’une pension alimentaire en passant par l’usage répété de stupéfiants par leur adolescent. Certains ont aussi commis des violences sur leur progéniture mais pas de violences graves. Les casiers judiciaires de ces sept parents sont vierges. Alors, plutôt que de les poursuivre, le procureur a exigé qu’ils suivent ce stage de trois jours qu’ils ont dû payer 120 euros.

Pour commencer, Charlotte Desmons, l'éducatrice qui anime ce stage, se présente en précisant qu'elle est elle-même maman de deux jeunes enfants. Après un tour de table de présentation, l'éducatrice lance le visionnage d’un petit film sur la parentalité qui retrace depuis la naissance du bébé tous les bouleversements que peut provoquer le fait de devenir parent. "Si vous êtes d'accord, on va faire un brainstorming tous ensemble pour définir ce qu'évoque pour vous la notion de parentalité, ce qu'évoque pour vous le fait d'être parent", enchaîne Charlotte Desmons.

Échanger dans la bienveillance

Les participants sont alors invités à prendre la parole, même ceux qui cherchent à se faire les plus discrets possible. Les mots fusent. "Éduquer, apprendre, être dans l'encouragement, inculquer la politesse, donner de la tendresse, rassurer les enfants...". L'éducatrice noircit le tableau de toutes ces idées. La discussion s’amorce rapidement sur la question des limites à poser aux enfants et c'est à ce moment que, quasi systématiquement, les participants en viennent à minimiser les raisons qui les ont amenés là.

Ils rappellent alors la manière dont eux-mêmes ont été élevés. "On a tous eu des claques, des fessées de la part de nos parents mais si c'est pour remettre l'enfant dans le droit chemin, ce n’est pas méchant. Madame l'éducatrice vous avez dit avoir vous-même deux enfants. Vous ne leur avez jamais mis une petite fessée ?" interroge un papa d'une trentaine d'années.

L'éducatrice explique que ce n'est pas toujours facile de faire face à ses propres émotions mais qu'elle n'a jamais cédé à ce qui peut être une pulsion de violence qui viendrait avec la colère. Le papa stagiaire poursuit : "Mais moi je discute avec les autres parents de l'école de mes enfants. Je vous promets que tous me disent avoir déjà mis une tape à leurs enfants". D'autres stagiaires acquiescent.

Les éducatrices écoutent beaucoup et essayent de faire bouger les lignes sans jugement et avec bienveillance. L'arbitrage de cette question des fessées et autres claques occasionnelles est résolu un peu plus tard par une autre intervenante venue pour dire, elle, le droit. En effet, c'est la justice qui ordonne ces stages, alors, le premier jour c’est un substitut du procureur qui ouvre la séance puis une avocate spécialiste des questions liées à l’enfance prend le relais.

Rappeler le droit

En l'occurrence, Me Eva Lerault du barreau de Lille est là devant les stagiaires. Elle vient préciser clairement ce que dit la loi modifiée en 2019 et que certains ignorent. "C'est dans le Code civil, c'est important. Je vous donne le nom de l'article si vous voulez aller voir un jour sur internet. L'article 371-1 dispose que l'autorité parentale s'exerce sans violence physique ni psychologique. Le même texte précise plus loin que les parents doivent associer l'enfant aux décisions qui le concernent selon son âge et son degré de maturité".

Un peu de réflexion sur la morale, des notions de droit, l’échange entre participants, voilà qui fonde ce stage. Il y a aussi au cours des trois jours des moments qui peuvent susciter beaucoup d’émotion. Il n’est pas rare que quelques larmes coulent, notamment au moment de la lecture devant le groupe d’une lettre fictive d’un adolescent à ses parents. Elle a été inventée par la psychologue américaine Gretchen Schmelzer. En voici un extrait : "Cher parent, voici la lettre que je voudrais pouvoir t’écrire. Ce conflit dans lequel nous sommes maintenant, j’en ai besoin. J'ai besoin de ce combat. Je ne peux l’expliquer parce que je n'ai pas le vocabulaire pour le faire, et de toute façon ce que je dirais n’aurait pas de sens. Mais j’ai besoin de ce combat. Désespérément". Beaucoup de participants s’y reconnaissent. Il se trouve que très récemment le comédien vedette Franck Dubosc très touché par ces mots l'a lue dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux.

@lou.media Quand @fdubosc_officiel lit la lettre écrite par la psychologue américaine Gretchen Schmelzer, interprétant ce qu’un adolescent souhaiterait dire à ses parents. 💌 #education #ado #psychologie #pourtoi ♬ son original - Lou

La lecture de cette lettre comme les autres moments du stage aident certains stagiaires à opérer des prises de conscience, des prises de recul même si beaucoup peinent à le confesser. "Je dois reconnaître que cette lettre ne m'a pas laissé indifférent. Je crois que je vais y répondre puis envoyer à mes deux filles de 14 et 16 ans les deux courriers afin de leur montrer que j'ai décidé de faire un effort pour les comprendre et que moi aussi je suis affecté par la détérioration de nos relations. Il n'y a pas de bons et de mauvais parents. On est tous des parents apprenants et la critique peut être positive, c'est vrai. Ça ne fait pas de mal de prendre un peu de recul sur nos choix éducatifs", confie François, la quarantaine, au moment de la pause.

"Les stages de responsabilité parentale ne produisent pas de miracle mais donnent aux parents quelques pistes pour l’avenir", explique Charlotte Desmons, l'éducatrice qui tient toujours à rappeler aux stagiaires que notre propre colère de parent, même face aux bêtises de notre enfant, va avoir des conséquences sur son développement, sa construction et sa vie de futur adulte.

"Il n’y a pas de mode d'emploi clefs en main pour être un meilleur parent."

Charlotte Desmons, éducatrice à "La Sauvegarde du Nord"

à franceinfo

 Si je devais résumer, je dirais qu'il faut oser demander de l'aide quand on est en difficulté avec un de ses enfants, accepter les mains tendues extérieures, ne pas forcément voir le système éducatif et les associations comme une intrusion dans une famille. Il faut s'autoriser aussi le droit à l'erreur si c'est pour ne pas la reproduire et surtout toujours miser sur le dialogue avec son enfant. Le dialogue reste primordial quel que soit l'âge de l'enfant et c'est encore plus essentiel avec un adolescent qui souvent traverse lui-même une tempête dans son état émotionnel", ajoute la professionnelle. Chaque année, environ 2 000 obligations de stage de responsabilité parentale, comme celui-ci, sont prononcées en France par des procureurs ou des juges.

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