"On vous coincera dans une ruelle" : des médecins harcelés ou menacés après avoir pris position en faveur de la vaccination anti-Covid
Parce qu’ils ont publiquement pris position en faveur de la vaccination, du port du masque ou du pass sanitaire, nombre de soignants font l’objet de menaces ou de "lynchages numériques".
Des soignants insultés, menacés : la semaine dernière encore, la préfecture de Martinique a déposé plainte après des menaces subies par des soignants vaccinés. Depuis le début de la crise du Covid-19, de nombreux scientifiques font l'objet de "lynchages numériques" sur les réseaux sociaux pour leur prise de position en faveur de la vaccination, du masque ou du pass sanitaire.
Certains déposent même plainte pour des menaces de mort. C'est le cas d'Hélène Rossinot, médecin de santé publique. Très active sur les réseaux sociaux, elle répond aux questions de ses abonnés. Et il y a quelques mois, un tweet en faveur du port du masque à l'école lui a valu des milliers de messages d'hostilité. "J'ai eu droit à des messages comme 'On se souviendra de votre visage quand vous n'y penserez plus', 'On vous coincera dans une ruelle', ou des messages qui appelaient carrément à m'assassiner, de diverses manières...", explique Hélène Rossinot.
"En faisant médecine, je n'aurais jamais imaginé aller un jour au commissariat pour porter plainte pour menaces de mort. Simplement pour avoir informé des gens sur Twitter."
Hélène Rossinotà franceinfo
Pour Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux, pas question de laisser passer ces intimidations, alors que lui-même est devenu l'une des cibles des opposants à la vaccination. Et il a donc déposé plainte pour injure publique et diffamation. "J'ai vraiment vu un virage après le discours du président de la République du 12 juillet, que j'ai salué parce que j'ai trouvé que c'était enfin un discours clair en faveur de la vaccination avec la mise en place du pass sanitaire, indique-t-il. À partir de ce moment-là, les insultes sont devenues beaucoup plus dures et nous nous faisions traiter de Gestapo, de nazis."
"Quand on me dit d'aller pourrir en enfer, je considère que c'est quand même une menace extrêmement grave."
Jean-Paul Ortizà franceinfo
Ces invectives ne se font pas que sur les réseaux sociaux et peuvent aussi s’entendre dans les centres de vaccination, à l'hôpital et même parfois entre soignants. C'est ce que l'on a observé ces derniers jours au CHU de Martinique, où des syndicats s'opposent au pass sanitaire. "C'est une situation de tension vraiment forte au sein de l'hôpital, soupire Benjamin Garel, le directeur de l'établissement, qui lance un appel au calme à ses équipes. Cela peut être via les réseaux sociaux ou en visuel, ou lors d'une réunion qui est interrompue. Cela peut être en croisant simplement des personnes, ou en entrant à l'hôpital, que vous êtes confrontés à des insultes ou des menaces de mort." Le préfet de Martinique a déposé plainte la semaine dernière.
Les plaintes se multiplient mais il est difficile de savoir combien de soignants ont été pris pour cible. L'enquête annuelle du Conseil de l'ordre sur la sécurité des médecins pourrait donner dans les prochains mois un aperçu de l'ampleur du phénomène. De son côté, la revue Nature a fait son propre sondage auprès de 300 scientifiques américains, anglais et australiens. Près d'un quart d'entre eux expliquent avoir fait l'objet de menaces et 40% reconnaissent avoir souffert d'une détresse psychologique les dissuadant de reprendre la parole dans les médias.
"La crise du Covid a créé une défiance envers la science"
C'est justement pour éviter de se taire que certains se sont réunis au sein de collectif comme Citizen for Science, une association fondée par Fabienne Blum, qui a longtemps travaillé dans l'industrie pharmaceutique et qui a été elle même victime de menaces. Avec son association, elle dénonce un manque de réaction de la part du gouvernement. "On est quand même dans une situation inédite : la crise du Covid a créé une défiance envers la science, les scientifiques, note Fabienne Blum. Notamment, par exemple, la défiance envers des médecins chercheurs qui sont obligés de travailler avec l'industrie, faute de quoi on ne pourrait pas développer des médicaments. Dès lors qu'ils parlent d'un médicament, reprend-elle, c'est forcément parce que le laboratoire les a achetés pour le promouvoir : ce sont des histoires complètement inventées qu'on ne voyait pas avant."
Certaines plaintes ont déjà donné lieu à des enquêtes, mais encore faut-il que l'anonymat sur les réseaux sociaux soit levé. Benjamin Peiffer-Smadja est infectiologue et dès le début de la crise sanitaire, il a été pris pour cible, notamment au cours du débat sur l'hydroxychloroquine. "Twitter a refusé de lever l'anonymat mais Facebook l'a fait à la demande du procureur, indique ce dernier. Donc nous avons l'identification de quelques personnes qui ont participé à cela. Il y a eu deux médecins, un kinésithérapeute et des gens de la société civile..." En parallèle, l'infectiologue a poursuivi les deux médecins et le kinésithérapeute devant la juridiction disciplinaire de l'ordre des médecins, une procédure toujours en cours.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.