Cet article date de plus de trois ans.

Témoignages Covid-19 : pour avoir défendu la vaccination, ces médecins et chercheurs ont reçu insultes et menaces de mort sur les réseaux sociaux

Certains spécialistes tentent de lutter sur Twitter et YouTube contre les fake news et théories complotistes au prix d'un cyberharcèlement qui s'est renforcé avec l'arrivée sur le marché du vaccin de Pfizer-BioNTech.

Article rédigé par Guillemette Jeannot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Une personne reçoit la première injection du vaccin Pfizer-BioNTech, le 5 janvier 2021 à Rennes (Ille-et-Vilaine). (ESTELLE RUIZ / NURPHOTO / AFP)

"Les commentaires haineux sont apparus en masse sous mes vidéos traitant du Covid-19." Thibault Fiolet, doctorant en épidémiologie à l'université Paris-Saclay, est consterné par ce "torrent d'insultes anonymes" qui ne tarit pas depuis l'apparition du Sars-CoV-2, il y a maintenant presque un an. Il fait partie de ces médecins et chercheurs qui s'évertuent à faire de la "vulgarisation scientifique" sur les réseaux sociaux. Régulièrement leurs propos sont mis en doute par une frange de la population. Mais, depuis les prémices de la campagne vaccinale, ces professionnels de la santé remarquent une hausse des messages malveillants à leur encontre. 

"J'ai reçu des milliers de messages"

Les insultes, Thibault Fiolet ne s'y "attendait pas du tout", confie-t-il à franceinfo. Cela a débuté quand certains internautes ont compris qu'il était co-auteur, avec notamment Nathan Peiffer-Smadja, infectiologue à l'hôpital Bichat, d'une méta-analyse sur l'hydroxychloroquine, publiée en août. "J'ai reçu des milliers de notifications de messages insultants sur Twitter", se souvient le doctorant. 

Avec cette étude, Thibault Fiolet et Nathan Peiffer-Smadja sont devenus la cible d'une "violente campagne de cyberharcèlement sur les réseaux sociaux". Ils ont reçu "des centaines d'insultes, de messages xénophobes, d'appels téléphoniques anonymes et d'intimidation, y compris des menaces de mort". La pression est montée d'un cran pour Nathan Peiffer-Smadja quand certains ont retrouvé son adresse. "Heureusement que c'était mon ancienne adresse, précise-t-il à franceinfo. Mais elle tournait sur les réseaux avec des photos en disant qu'ils allaient me retrouver."

Depuis que leur étude a été citée en tant que "fraude" scientifique dans le documentaire Hold up, sorti le 11 novembre, les deux hommes sont la "cible constante des conspirationnistes". Ces "attaques" amènent Thibault Fiolet à censurer régulièrement des messages insultants qu'il reçoit sur sa chaîne YouTube. Mais récemment les commentaires "haineux" se sont multipliés après la publication d'une vidéo expliquant "comment fonctionnent les vaccins entiers à ARN" et qui a été vue plus de 48 000 fois.

Nous sommes accusés de vouloir implanter des nanopuces chez les gens, de vouloir les empoisonner et qu'avec ce vaccin nous voulons les tuer alors que selon eux l'hydroxychloroquine est efficace.

Thibault Fiolet

à franceinfo

Même si Thibault Fiolet a appris à faire abstraction de ces insultes, il a déposé plainte contre X en fin d'année. Quant à Nathan Peiffer-Smadja, sa plainte est en cours d'instruction. "J'ai constitué un dossier de plus de 280 pages avec des captures d'écran de menaces et d'insultes reçus sur Twitter, Facebook et dans ma boîte mail professionnelle", détaille-t-il.

"Le procureur a pris ma plainte au sérieux"

Des menaces de mort, le Docteur Pepper, pseudonyme d'un médecin généraliste exerçant en Bretagne, en a reçu également. "Un type m'insultait depuis des mois sur Twitter. Puis en août, après avoir tenu des propos anti-vaccin, il m'a menacé", raconte ce médecin à franceinfo. "La plupart du temps ce sont des insultes que je reçois. Mais là, on voyait qu'il avait fouillé mon compte pour trouver des indices sur ma ville et le procureur a pris au sérieux ma plainte." Selon ce médecin, cette personne est désormais poursuivie pour "menaces de mort".

Si le nombre d'insultes est difficilement quantifiable selon le Docteur Pepper, "il y a une accélération depuis l'arrivée des vaccins dans le débat public. On touche aux croyances des gens et certains deviennent vite agressifs", constate-t-il. "C'est quasiment proportionnel aux nombres de vos abonnés. Plus vous en avez plus on vous insulte", souffle celui qui a décidé de ne plus lire toute la haine déversée sur son compte Twitter. 

C'est la même chose que le patient qui vous insulte aux urgences... Au bout d'un moment, vous ne faites plus attention.

@DocPepperFR

à franceinfo

Répondant le moins possible aux provocations, le Docteur Pepper garde sa ligne de conduite et continue de poster sur les réseaux sociaux. "Depuis la présentation de la campagne de vaccination, j'ai même gagné des abonnés", se félicite le soignant. 

"Je ne suis pas à l'abri que quelqu'un passe à l'action"

"Ce qui est le plus choquant, c'est d'être cyberharcelé par des confrères", déplore Nathan Peiffer-Smadja. "J'ai été accusé par le professeur Christian Perronne d'être responsable de milliers de morts, d'avoir des conflits d'intérêts... Je suis également la cible du professeur Eric Chabrière de l'IHU de Marseille avec plus d'une cinquantaine de tweets où il m'insulte", se désole le chef de clinique assistant.

Ce dernier a porté plainte contre le docteur Christian Perronne, qui a été démis de ses fonctions au sein de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, le 17 décembre. Début décembre, le Conseil national de l'ordre des médecins a également porté plainte contre lui et cinq autres médecins, dont Didier Raoult et Henri Joyeux.

"Etre attaqué par des pairs qui ont un plus grand nombre d'abonnés sur les réseaux est déstabilisant", convient Samuel Mondy, ingénieur de recherche en biologie informatique, auprès de franceinfo. "Avec plus de 13 000 abonnés, la parole du professeur Eric Chabrière me diffamant est largement diffusée et relayée", précise celui qui a désactivé plusieurs fois son compte Twitter en 2020 face au "tombereau" d'injures qu'il recevait pour des raisons "obscures". "J'ai eu comme un trop-plein d'agression", relate l'ingénieur. 

Il faut être très fort mentalement pour répondre à une dizaine de personnes qui vous disent que vous faites de la merde.

Samuel Mondy

à franceinfo

D'autant que Samuel Mondy publie sur Twitter sous son vrai nom. "J'ai reçu des messages d'intimidation sur ma boîte mail professionnelle d'une personne qui savait où j'habitais et qui menaçait de m'attendre à la sortie de mon travail", confie-t-il. "Avec un compte non anonyme, je ne suis pas à l'abri qu'un jour quelqu'un passe à l'action. Alors je ne vais pas m'amuser à aller à l'IHU de Marseille car je sais que je n'y suis pas le bienvenu", déclare cet anti-hydroxychloroquine.

"Il faut continuer à expliquer"

Avec le début de la campagne de vaccination, Samuel Mondy reconnaît que c'est une période "compliquée" pour les gens qui doutent face à l'efficacité des vaccins : 58% des Français ne veulent ainsi pas se faire vacciner, selon un sondage pour franceinfo et Le Figaro, réalisé les 22 et 23 décembre et publié dimanche 3 janvier. C'est huit points de plus que le mois dernier. "Il faut que nous, scientifiques, nous continuons à leur expliquer de manière simple et sans être anxiogène pourquoi il faut se faire vacciner." Une position que partage aussi Nathan Peiffer-Smadja.

Je ne me tairai pas parce qu'on me menace.

Nathan Peiffer-Smadja

à franceinfo

Contrer la désinformation coûte que coûte reste donc une des principales missions de Nathan Peiffer-Smadja, qui actuellement intervient "beaucoup" sur le variant anglais du Sars-CoV-2 ainsi que sur les vaccins. Quant à Thibault Fiolet, même s'il réfléchira "à deux fois" avant de poster sa prochaine vidéo sur le Covid-19, il poursuit son travail de vulgarisation scientifique. "Il est important que la communauté scientifique soit présente sur les réseaux sociaux parce que de toute façon, d'autres moins formés le feront à notre place", conclut-t-il.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.