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A Bourges, comme dans tous les déserts médicaux, la pénurie de personnel met l'hôpital sous tension

Les soignants des hôpitaux sont appelés à manifester samedi, partout en France, à l'appel des syndicats et collectifs. La crise de l'hôpital est amplifiée depuis presque deux ans par le Covid-19. Exemple au Centre hospitalier Jacques-Cœur de Bourges (Cher).

Article rédigé par Solenne Le Hen
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le Centre Hospitalier Jacques-Cœur de Bourges (Cher), le 30 novembre 2021. (SOLENNE LE HEN / RADIO FRANCE)

À l'hôpital de Bourges, dans le Berry, il n'y a pas besoin que l'épidémie de Covid-19 qui inquiète. La difficulté ici, au cœur d'un désert médical, est avant tout de trouver du personnel. Dans son bureau, le Dr Isabelle Meyer mène des entretiens en visio pour recruter des médecins à l'étranger. Un exercice quasi quotidien. "On va vous laisser vous présenter", lance le Dr Meyer face à son ordinateur. Le candidat, originaire du Bénin, s'exécute de l'autre côté de l'écran. Médecins étrangers, médecins de l'armée, retraités, intérimaires, réserve sanitaire… Aux urgences de Bourges, on cherche des praticiens partout. "Nous ne sommes plus que quatre titulaires pour 27 postes, déplore le Dr Meyer. Le tout étant travaillé 24 heures, qu'il faut tenir 365 jours par an."

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Certains titulaires sont ainsi contraints d'assurer jusqu'à trois gardes de 24 heures par semaine. À Bourges, le Centre hospitalier Jacques-Cœur n'attire plus les médecins depuis des années, les départs à la retraite ne sont pas compensés. Les jeunes préfèrent l'intérim, un exercice plus libre et mieux payé : jusqu'à 2 000 euros la garde de 24 heures pendant le week-end de Noël, par exemple. Alors à l'hôpital, plusieurs agents travaillent à temps plein pour trouver des médecins remplaçants et remplir les plannings. "C'est un vrai casse-tête, reconnaît le Dr Meyer. Il y a des trous dans le planning tous les jours..." Et si un malade s'ajoute, c'est "une catastrophe... mais c'est du quotidien. Un malade, ou quelqu'un ne vient pas. Un médecin intérimaire peut nous dire que le lendemain, finalement, il ne pourra pas venir. Ça arrive." En octobre dernier, des ambulances du Samu n'ont pas pu partir en intervention faute de médecins suffisants.

Des postes d'infirmiers non pourvus

Près de 20% des postes de médecins sont libres sur l'ensemble de l'hôpital. Mais on manque aussi désormais d'infirmiers, et c'est nouveau. Le phénomène a commencé au début de l'année : aujourd'hui, 7% des postes sont non pourvus.

C'est le cas en réanimation où sont soignés les malades Covid les plus graves de tout le département du Cher. "Sur un service qui compte habituellement 12 lits pour l'ensemble du département, nous n'avons que 10 lits ouverts, donc deux lits fermés, explique le chef du service, Dr Olivier Michel. Nous n'avons pas assez d'infirmières pour augmenter notre nombre de lits en cas d'accélération des hospitalisations de patients Covid. Un certain nombre sont en arrêt maladie, sont absentes, ont démissionné... Certaines ont été suspendues."

"Sur un établissement comme le nôtre qui compte plus de 2 000 personnels, nous avons quand même sept infirmières qui ont été suspendues pour cause de non vaccination. Ce n'est pas beaucoup, mais ça s'ajoute à tout le reste !"

Dr Olivier Michel, chef du service de réanimation

à franceinfo

Conséquence de cette pénurie de personnel : 52 lits ont dû être fermés à l'hôpital, en gériatrie, cardiologie, réanimation... soit 6% des lits. Et avec l'arrivée des patients atteints de maladies hivernales, l'hôpital a déclenché la semaine dernière le dispositif "hôpital en tension", dispositif permettant à tout établissement de faire face à une situation de crise en maintenant la continuité des soins et en préservant la sécurité des patients et du personnel. C'est l'alarme avant d'enclencher le plan blanc.

Besoin de temps "pour penser notre travail"

L'hôpital est déjà très fatigué. "Clairement, l'hôpital est davantage en crise parce qu'aujourd'hui, il intègre tous les éléments de la crise du Covid : on vit avec le Covid", juge Agnès Cornillault, la directrice du Centre hospitalier Jacques-Cœur de Bourges. Elle s'exprime comme le font rarement les directeurs et directrices. "Je n'ai pas de doutes sur les capacités d'adaptation de l'hôpital, j'ai des doutes sur sa résilience et la résistance à une nouvelle crise. Pour passer les moments les plus aigus, certains ont beaucoup donné. Forcément, il y a de l'épuisement, du questionnement sur ce qu'on a envie de faire par la suite."

"Je pense qu'à l'hôpital, on a beaucoup manqué de temps ces dernières années pour parler de ce que nous faisons. Tout est chronométré à l'hôpital. On a besoin de temps pour penser notre travail."

Agnès Cornillault, directrice du Centre hospitalier Jacques-Cœur de Bourges

à franceinfo

Mais il y a peu de temps pour réfléchir, car pour le moment, l'urgence, c'est la cinquième vague du Covid-19, avec seulement 10 lits de réanimation pour tout le département. S'il y a un afflux de malades dans les prochains jours, il n'y aura pas le choix : il faudra en transférer certains vers les hôpitaux des départements voisins… à condition qu'ils aient de la place.

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