Le déni des hommes d'Église face aux abus sexuels : "Je n'avais aucun sentiment de commettre un crime"
Alors que la commission Sauvé rend son rapport mardi, l'Église catholique veut travailler sur la prévention des futurs prêtres mais également sur le traitement médical et psychologique des ecclésiastiques pédocriminels, pour éviter de nouveaux abus.
Onze de ces hommes d'Église (dix prêtres et un diacre) condamnés ont été auditionnés par la commission Sauvé. Ils ont entre 60 et 80 ans et aucun profil général ne se dégage. Classes sociales variées, issus ou non de familles religieuses, ayant ou non eu une vie amoureuse avant la prêtrise, ayant ou non été sexuellement abusés dans leur jeunesse. Seul trait commun à la plupart d'entre eux : le déni ou la minimisation des faits. "À mon époque, je n'avais aucun sentiment de commettre un crime, ni même un délit, confie à franceinfo, sous couvert d'anonymat, un prêtre condamné à 30 mois de prison pour des attouchements commis il y a 20 ans sur deux adolescentes. J'avais le sentiment de commettre un péché. J'ai été ordonné prêtre alors que des signalements avaient été faits à l'évêque. Pourquoi cette stupidité qui est criminelle."
Frédéric Starck, doctorant à l'École pratique des hautes études (EPHE) a auditionné ces prêtres et distingue deux types d'attitudes. "Première attitude, ne pas reconnaître même la notion de violences sexuelles, explique-t-il. Ils vont plutôt parler de gestes de tendresse et d'affection, selon l'expression d'un de ces prêtres. La deuxième catégorie procède plutôt de la minimisation : certes, ils ont eu des actes rédhibitoires, avec des jeunes, mais il faut dire que l'Église n'a pas su les empêcher."
Une obligation de soins nécessaire
La Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (Ciase) doit notamment estimer le nombre de victimes d'agressions sexuelles dans les institutions catholiques depuis 1950. Il sera supérieur à 10 000, le chiffre qu'évoquait en mars Jean-Marc Sauvé, et le nombre d'agresseurs se situe entre 2 900 et 3 200. Le rapport Sauvé, rendu mardi 5 octobre, suit le traitement par l'institution religieuse de ces prêtres pédocriminels condamnés.
Pendant des années, l'Église n'a pas eu les réactions appropriées. Le cas de Monseigneur Robert Marchal, ex-vicaire épiscopal de Nancy, a été mis au jour grâce à un témoignage auprès de la Ciase. En 1995, une victime l'avait pourtant appelé. Cette victime dénonçait un viol subi 30 ans plus tôt. Le prêtre mis en cause avait reconnu les faits, mais malgré cela Robert Marchal n'a rien fait. Il s'en justifie en expliquant que ce prêtre "était curé de paroisse" et que "comme tout curé de paroisse", il peut être amené à avoir des contacts avec des enfants, mais "qu'on ne peut pas dire qu'il y en ait des tonnes dans les paroisses aujourd'hui, des gosses."
"Je pense qu'on n'a pas fait ce qu'il fallait. Je ne dis pas que je plaide coupable, mais si, parce que je n'ai pas pensé que je cachais vraiment les choses."
Robert Marchal, ex-vicaire épiscopal de Nancyà franceinfo
"Maintenant, je suis à la retraite, j'ai 75 ans, je ne suis plus en responsabilité, donc tout va bien !", conclut Robert Marchal. Un comportement qui serait inacceptable aujourd'hui, puisque les évêques ont pour consigne de signaler les faits à la justice.
Une fois le jugement prononcé ou quand les faits sont prescrits, ils peuvent consulter une commission indépendante pour décider du sort des prêtres. Ces derniers peuvent être affectés aux archives d'un diocèse par exemple, avec généralement une obligation de soins auprès de psychothérapeutes comme Wayne Bodkin, qui suit plusieurs ecclésiastiques. "Ils peuvent prendre des médicaments pour réduire la libido et on a aussi le côté psychothérapeutique, explique le spécialiste. On peut amener un changement d'attirance vers un enfant, pour une attirance vers un adulte, un jeune adulte certes mais un adulte. Et ça change tout, notamment l'idée de consentement."
Ce processus de soins passe donc par un travail sur les questions de sexualité et d'absence de sexualité. Certains prêtres auditionnés par la Ciase mettent en avant l'obligation du célibat comme facteur ayant favorisé ces violences sexuelles. Une affirmation qui va dans le sens des observations de Matthieu Lacambre, psychiatre au CHU de Montpellier : "Un des risques, c'est que des sujets s'engagent dans le séminaire en pensant régler définitivement la question de leur propre sexualité avec un vœu. Et ceux qui sont rattrapés par une érection, par un fantasme, par une excitation ne sont pas toujours en capacité de le gérer correctement lorsqu'ils ont fait le vœu de chasteté." Une situation qui peut les culpabiliser et donc avoir l'effet inverse.
"J'ai vu des situations où certains hommes venaient se mutiler au niveau de la verge ou se flageller. Et une fois auto-punis, ils se disent 'comme je me suis puni, peut-être que je peux m'autoriser'."
Matthieu Lacambre, psychiatreà franceinfo
Pour ces prêtres pédocriminels, l'Église envisage désormais un accompagnement médico-psychologique quasi immédiat, dès qu'ils sont accusés. Le diocèse de Paris s'apprête à ouvrir une structure d'accueil d'urgence, pour éviter les suicides. Deux places doivent ouvrir d'ici la fin d'année.
La prévention dès le séminaire
Au séminaire d'Orléans, des médecins viennent y faire des formations sur la sexualité. Pour le père Laurent Tournier, recteur du séminaire, il est impossible de certifier que chaque personne qui sort de ce lieu n'est pas pédophile. Mais il trouve d'autres solutions : "Nous associons à la formation des gens qui ont des compétences que nous n'avons pas, comme des psychiatres ou des psychologues. Ça peut permettre de découvrir un travers incompatible avec la vocation presbytérale."
Et ce dont rêve le Père Laurent Tournier, c'est que les prêtres qu'il forme ne soient plus vus comme de "potentiels dangers", mais comme des vigies, capables de détecter les signes de détresse des enfants abusés.
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