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"Je me suis sentie comme une pestiférée" : à Crépy-en-Valois, premier foyer du Covid-19 en France, les habitants ne sont pas près d'oublier

C'est dans ce village de l'Oise que le tout premier mort français du coronavirus a été recensé il y a un an. Le décès de ce professeur de technologie a profondément marqué le maire et ses administrés. Ils gardent aussi en mémoire la méfiance du reste de la France vis-à-vis de leur département, touché par l'épidémie avant les autres.

Article rédigé par Valentin Dunate
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Crépy-en-Valois, en février 2020. (MARTIN BUREAU / AFP)

C’était il y a un an, jour pour jour, le 26 février 2020 : un professeur de technologie de Crépy-en-Valois (Oise) était le premier Français à mourir du Covid-19. franceinfo est revenu dans ce département, premier foyer de contamination en France, où les séquelles sont toujours perceptibles.

"On se disait 'qu'est-ce que c'est que ce truc ?'"

Ceux qui ont été les premiers concernés n'ont pas oublié, à l'image de Philippe Pinillo, le médecin traitant de ce professeur. Il avait vu l'enseignant deux fois, à une semaine d’intervalle, avant qu’il ne soit hospitalisé d’urgence à Creil, puis à la Pitié-Salpêtrière à Paris. "Je me rappellerai toujours l'image du patient revenant la deuxième fois. En allant le chercher en salle d'attente, j'ai vu un homme totalement différent, comme s'il avait vieilli, se souvient le médecin. Une telle dégradation en si peu de temps, c'était choquant. Au point où l'on se disait 'qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce que c'est que ce truc?'" Ce truc, qu’on appelle le Covid-19 aujourd’hui, a donc tué son patient. C’est une patiente qui lui apprend la nouvelle. 

"Un matin, j'arrive au cabinet, une patiente me dit 'tiens, il y a un professeur qui est décédé du Covid'. Je dis 'non, c'est quand même pas lui' et ça me donne des frissons et je fais le rapprochement et je me dis 'bah si c'est lui'".

Philippe Pinillo, médecin à Crépy-en-Valois

à franceinfo

Dominique Varoteaux, ce professeur de technologie de 60 ans, était également conseiller municipal à Vaumoise, un petit village à quelques kilomètres de Crépy-en-Valois. Quelques jours après son décès, la commune a reçu la visite du ministre de la Santé dans une petite salle exiguë, où les habitants se pressaient pour comprendre ce qui était en train de se passer. Le maire, Gilles Petitbon a décidé de ne pas se représenter et profite désormais de sa retraite. Dominique Varoteaux était son ami. "Ça m'a marqué et ce sont des choses auxquelles je pense encore beaucoup et auxquelles je penserai toujours, c'est un moment de vie intense."

"J'avais l'impression, au plus fort de la crise, d'être dans une machine à laver, sur l'essorage au maximum et ça ne s'arrête pas, la sensation que tout nous échappe. C'est un grand saut dans l'inconnu."

Gilles Petitbon, ancien maire de Vaumoise

à franceinfo

Et la famille Varoteaux ? "Ils ont beaucoup souffert, explique Gilles Petitbon. Ça a été très compliqué parce que pour eux aussi, la pression était forte. Je pense qu'ils ont la chance d'être une famille très unie et de faire bloc."

Gilles Petitbon, l'ancien maire de Crépy-en-Valois (Oise). (VALENTIN DUNATE / RADIO FRANCE)

Désormais à Vaumoise, où vit toujours la famille de ce professeur, ce sujet est comme tabou : "On en parle assez peu finalement dans le village. Je pense que les gens veulent peut-être tourner la page, tout simplement", avance l'ancien maire. Et c’est la même chose au collège, où la cheffe d'établissement, comme les professeurs ne se sont jamais exprimés. "Trop douloureux", explique le syndicat SNES-FSU. Les élèves non plus ne veulent pas trop en parler.

Un village et un département montrés du doigt

Il faut dire que pendant plusieurs jours, la France entière avait les yeux rivés sur cette ville. Et les habitants l’ont toujours en travers de la gorge. D'autant qu'à Crépy-en-Valois, beaucoup travaillent à Paris. La plupart ont très mal vécu cette période. Dounia, par exemple, se souvient très bien de ce 26 février 2020 : "Je suis allée au boulot, comme tous les jours, sans inquiétude. Et dès qu'on a su que Crépy-en-Valois était probablement un cluster, on m'a très vite renvoyée parce qu'on savait que je venais de Crépy-en-Valois". Elle s'est sentie "comme une pestiférée. Je l'ai très mal pris. Effectivement, on est pointé du doigt. On se dit non, 'nan mais ça va, arrêtez de nous pointer du doigt parce que ça va arriver, c'est un virus.'" 

Le mot "pestiféré" revient très souvent. Il signifie "avec qui on évite toute relation à cause de son caractère nuisible, réel ou supposé". Le maire de Crépy-en-Valois explique d’ailleurs que les habitants sont "terriblement marqués" par le fait d’avoir à ce point été pointés du doigt. C'est même tout le département qui a été marqué et qui a décidé de réagir. Deux campagnes de communications ont été lancées pour en finir avec cette image du "département du Covid". Elles ont coûté 200 000 euros, avec un slogan très simple : "J'aime l'Oise". La présidente du département, Nadège Lefevbre n'arrêtait pas d'entendre des habitants qui ne pouvaient pas faire de sport parce qu'ils venaient de l'Oise, ou des chantiers qui ont été annulés pour les mêmes raisons. "Cela m'a fait réagir", raconte l'élue.

"J'ai discuté avec mes équipes en disant 'Ce n'est pas possible. On nous refait le coup du nuage de Tchernobyl qui va rester dans l'Oise et qui ne va pas sortir.' Et donc on s'est dit qu'il fallait impérativement sensibiliser les habitants de l'Oise à leurs atouts, aux atouts du département."

Nadège Lefevbre, présidente du département de l'Oise

à franceinfo

Profitant de la proximité du territoire avec Paris, le conseil départemental  a imaginé "une campagne pour tout ce qui est patrimoine. Tout ce que peut offrir le département de l'Oise dans le métro parisien. Et on a eu de bonnes retombées aussi sur ce plan-là", explique Nadège Lefevbre.

L'Oise étant à moins de 100 km de la capitale, la fréquentation n'a pas été si catastrophique que ça : - 50% par rapport à 2019. Désormais dans l'Oise, qui fait partie des 20 départements en rouge, on attend de savoir quelles seront les nouvelles mesures mise en place, un an après avoir été le premier département concerné par des mesures de restrictions, comme la fermeture des écoles ou les interdictions de rassemblements. "J'aurais tendance à dire que ça devient épuisant", conclut la présidente du conseil départemental.

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