Entre Pologne et Biélorussie, des milliers de migrants pris au piège dans un no man's land en pleine forêt
Depuis l'été, des milliers de demandeurs d'asile poussés par la Biélorussie, tentent d'entrer en Europe par la Pologne. Mais ils sont aujourd'hui coincés dans un no man’s land instauré par les autorités polonaises le long de la frontière avec la Biélorussie.
En réponse aux sanctions économiques mises en place par l'Union européenne contre son régime, le président biélorusse Alexandre Lukashenko a orchestré une crise humanitaire sans précédent en poussant des milliers de candidats à l'Europe vers la frontière polonaise depuis l'été. En Pologne, l'état d'urgence a été déclaré dans la région frontalière le 2 septembre : des milliers de soldats y ont été dépêchés et y contrôlent une zone interdite aux observateurs extérieurs où, à l'encontre du droit international et du droit européen, les autorités polonaises refoulent les demandeurs d'asile, également repoussés par les forces biélorusses.
Les contrôles de police, des douanes et de l'armée sont partout, près du no man’s land instauré sur trois kilomètres de large par les autorités polonaises tout au long de la frontière avec la Biélorussie. L'une des plus vieilles forêts d'Europe se referme comme un piège sur des centaines, voire des milliers de demandeurs d'asile, pour la plupart venus du Moyen-Orient.
La population locale est divisée entre ceux qui aident ces personnes et les autres.
Kasia, une Polonaise qui élève seule ses trois enfants, près de Hajnowka, dans un village proche de la zone dite rouge, fait partie d'un collectif de bénévoles. Elle héberge des activistes qui viennent en aide aux demandeurs d’asile, et collecte nourriture, vêtements et sacs de couchage qu’elle place au bord des chemins de la forêt toute proche. "Je ne sais pas vraiment à qui je viens en aide, tout ce que je sais c’est qu’il y a des gens qui ont besoin d’eau, de nourriture, d’un refuge, et j’essaie de le leur donner", explique-t-elle.
Kristina, la mère de Kasia, est écœurée par la situation : "Comment peut-on vivre en jetant un être humain par-dessus une frontière ? Un être humain ! C’est peut-être les douaniers, peut-être la police, on ne sait pas qui le fait parce qu’on ne le voit pas ! Mais il y a bien quelqu’un qui s’en charge. Comment peut-on faire ça ?" Le non-refoulement est pourtant l’un des principes fondamentaux de la Convention de l’ONU de 1951 sur le statut des réfugiés, une convention signée par la Pologne et par la Biélorussie.
Cette zone forestière est bouclée, absolument inaccessible et personne, pas même les humanitaires, ne peut porter assistance aux personnes en détresse. "Même la Croix Rouge nationale n’a pas obtenu l’autorisation d’accéder à cette zone et c’est notre inquiétude principale", insiste Georgia Trismpioti, conseillère en diplomatie humanitaire de la Croix Rouge.
"On sait que des centaines de personnes sont bloquées entre les deux pays, et qu’ils ont désespérément besoin d’assistance humanitaire et de protection. Malheureusement, on ne peut pas leur porter assistance."
Georgia Trismpioti, conseillère à la Croix Rougeà franceinfo
Pour Kasia la bénévole, le gouvernement ultra-conservateur polonais a une bonne raison pour empêcher l’accès à cette zone. "Je pense que cette zone de trois kilomètres a été instaurée pour que personne ne sache ce qui s’y passe." Seuls les témoignages de ceux qui en réchappent permettent de se faire une idée de la situation. Ahmad a passé 20 jours dans la forêt. Il a été refoulé cinq fois, avant de parvenir à rejoindre l’Allemagne. "J’ai vécu ce que tout le monde peut imaginer : la faim, la soif, les mauvais traitements, le traumatisme mental, boire l’eau des marécages, traverser des rivières d’un mètre et demi de profondeur, traverser des marais, être détenu par les autorités biélorusses et polonaises. Être battu, insulté, perdu, sous la pluie, être mort de froid, passer plusieurs jours sans dormir."
Officiellement depuis août, dix morts ont été répertoriés dans ce no man’s land aux confins de l’Europe. Mais ceux qui survivent aux refoulements attestent que bien d’autres encore ont perdu la vie dans cette forêt. Avec l’arrivée de l’hiver, cette crise humanitaire sur le sol européen ne fait que commencer.
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