Salon de l'agriculture : "50% des producteurs de lait sont à 10 ans de la retraite", alerte le président de la coopérative Sodiaal

Alors que s'ouvre le Salon de l'agriculture, la colère des agriculteurs ne faiblit pas. Damien Lacombe, président de la coopérative Sodiaal, première coopérative laitière française, est l'invité éco de franceinfo.
Article rédigé par Camille Revel
Radio France
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Temps de lecture : 7 min
Des agriculteurs ont défilé dans les rues de Paris, le 23 février, à la veille de l'ouverture du Salon de l'agriculture. (PH LAVIEILLE / MAXPPP)

Damien Lacombe est éleveur laitier et président de Sodiaal, la première coopérative laitière française. Presque tous les Français ont leurs marques dans leur réfrigérateur, Candia, Yoplait et Entremont, notamment. La coopérative rassemble 9 000 exploitations, plus de 16 000 éleveurs et 4,3 millions de litres de lait collecté par an. Le chiffre d'affaires du groupe est à 5 milliards et demi. L'actualité s'invite dans ce salon pas comme les autres avec depuis plusieurs semaines, la colère des agriculteurs.

franceinfo : Dernier épisode en date, il y a ce débat que veut organiser Emmanuel Macron au Salon, avec l'imbroglio autour de l'invitation qui n'en était pas une des Soulèvements de la Terre, débat finalement annulé. Vous, Damien Lacombe, qu'est-ce que vous pensez globalement de cette séquence ?

Damien Lacombe : Je suis un producteur de lait dans l'Aveyron, donc forcément, je suis concerné par ce qui se passe. En tant que président de coopérative aussi bien sûr, on soutient ce mouvement, dans le sens où il n'est pas très étonnant qu'il y ait finalement une secousse en ce moment. Effectivement, depuis des années, on a un écart entre notre capacité de producteurs à évoluer pour répondre aux enjeux de la société, aux enjeux environnementaux, aux réglementations qui nous sont imposées par Bruxelles ou la France et notre capacité à bouger. Et donc forcément, à un moment donné, il y a un ras-le-bol et il est normal qu'il y ait finalement cet état de fait en ce moment. Cette protestation, on la comprend et on la partage complètement.

Il y a eu plusieurs annonces qui ont été faites pour 400 millions d'euros de mesures, des annonces sur la simplification, sur la souveraineté alimentaire et puis des annonces sur la rémunération. Ça, c'est une question qui est centrale, avec notamment l'annonce d'une loi EGALIM. Ce sera la quatrième en l'espace de six ans. L'idée est de garantir justement une bonne rémunération des agriculteurs. Est-ce que c'est une bonne idée ?

Essayer de préserver et d'améliorer la valeur de nos produits, c'est une bonne idée. D'ailleurs, c'est ce qui nous motive, nous, chez Sodiaal, en permanence. Défendre la valeur du lait, c'est donner des perspectives aux jeunes agriculteurs qui vont s'installer. On sait qu'on en a bien besoin aujourd'hui. C'est aussi permettre de financer les transitions qui sont nécessaires et on est conscients des transitions à mener. C'est aussi finalement assurer la souveraineté alimentaire française. Donc défendre la valeur du lait, c'est primordial. La loi EGALIM dans la production laitière, j'allais dire, on a préempté ce sujet-là dès la première loi EGALIM, on a capitalisé dessus, il y a eu trois lois qui se sont succédé. On nous parle d'une quatrième loi, moi, je préférerais qu'on commence à s'assurer que tout ce qui a été décidé aujourd'hui, et ça serait déjà un bon point. Il y a des risques à empiler, des lois avant d'avoir regardé ce qui se passait avec les lois qui existent. Dans la dernière loi, il y a un sujet qui est majeur pour nous et d'ailleurs, on est dans les négociations commerciales sur les marques distributeurs en ce moment. La loi Descrozaille indique que la matière première agricole doit être sauvegardée dans le cadre des négociations dans les marques de distributeurs. Et donc on est sur ce chantier en ce moment et on sait que les enjeux sont forts puisqu'il y a quand même un écart important entre ce qu'on nous demande et nous, les propositions qu'on fait en termes de tarifs.

Au cœur des questions, au cœur des préoccupations, on en parle très souvent depuis des années, il y a la question du juste prix du lait. Vous chez Sodiaal, quel prix du lait payez-vous aux producteurs ?

Sur l'année 2023, on a payé pour être précis un prix de 44,8 centimes le litre. Quand on rajoute la matière grasse qui est produite en plus par les exploitations, la matière protéique et les ristournes de l'assemblée générale, puisque comme on est en coopérative, la rémunération complète, on peut la constater après l'assemblée générale de la coopérative. Donc on va être près de 0,50 €, le litre, si on considère tous les différents laits que l'on travaille. Et donc c'est quelque chose d'important. Et on peut considérer aujourd'hui que pour du lait conventionnel, 0,50 € le litre, c'est l'objectif qu'il faut qu'on se fixe justement pour que la filière soit attractive, pour qu'on incite des jeunes à s'installer, pour qu'on assure un renouvellement des générations.

Quand vous parlez d'attractivité, c'est un des mots-clés, notamment pour l'agriculture, est-ce que vous, vous fixez des objectifs pour voir de nouveaux entrants, des jeunes qui s'installent avec des aides chez Sodiaal ?

On a tout un programme de soutien d'aide à l'installation qui passe par des aides directes et on commence aujourd'hui aussi à anticiper beaucoup plus qu'avant les arrêts des producteurs. Cinq ans avant, on commence à regarder ce qui se passe. Il y a un enjeu extrêmement fort par rapport au renouvellement. On sait qu'il y a 50% des producteurs qui sont à 10 ans de la retraite et donc on a un enjeu majeur de renouvellement des générations. Donc la valeur du lait, c'est l'attractivité de la filière et donc c'est notre leitmotiv en ce moment. Il faut à tout prix qu'on arrive à passer des tarifs, que l'on demande dans le cadre des négociations marques de distributeurs, puisque c'est cela qui assure un prix du lait pour le reste de l'année. Je voudrais dire aussi, par rapport à la loi EGALIM quatre, qu'il y a des sujets qui tournent autour de l'origine France. Moi, je suis producteur de lait, mais je suis aussi transformateur et tout le lait qui passe dans nos marques est produit en France. Donc nous, on est des fervents défenseurs de l'origine France et on va pousser à fond pour que ce sujet-là puisse aboutir.

Il y a forcément une autre grande problématique, c'est le climat. Vous, vous menez des actions pour inciter à la décarbonation ?

En tant que producteur de lait, on est déjà les premiers touchés par les évolutions climatiques et par les nouvelles contraintes. Donc on est bien conscient des enjeux que l'on a devant nous et des évolutions qu'il faut que l'on mène. Pour justement valoriser tout ce qui est déjà fait par nos adhérents, on a mis en place une prime durabilité qui va être effective à partir du 1er avril qui pourra aller jusqu'à 5 € les 1 000 litres avec une partie sur l'empreinte carbone et une partie sur la biodiversité. Tout ça pour valoriser le travail qui est déjà fait par nos adhérents parce qu'ils ont aussi besoin de montrer qu'ils font déjà du travail, qu'ils sont dans une période d'évolution et de changement. Ça nous donnera aussi des chiffres pour justement mieux défendre nos valorisations auprès des clients de la distribution puisqu'effectivement, c'est un enjeu majeur aujourd'hui pour toute la filière.

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