Protection animale : un mois de mise à quai des bateaux de pêche va "mettre en danger toute la filière", selon le représentant José Jouneau
Du 20 janvier au 20 février, les bateaux de pêche du Golfe de Gascogne ne pourront plus exercer avec certains types de filets pour protéger les dauphins, régulièrement pris accidentellement. La France avait décidé d'assouplir cette mesure de l'arrêt de toute activité de pêche dans le golfe de Gascogne. Mais le Conseil d'État a retoqué ces assouplissements juste avant Noël.
franceinfo : José Jouneau, vous êtes le président du Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins des Pays de la Loire. C'est un coup dur ce mois sans pêche ?
José Jouneau : C'est un coup d'épée dans le dos ! On s'y attendait un petit peu, on s'y était préparé, mais ça a été très perfide. On ne pensait pas que ça se passerait comme ça.
Comment est-ce que vous vous y étiez préparé, concrètement ?
Ça fait cinq ans qu'on travaille avec l'ensemble de nos partenaires, ONG comprises, sur un phénomène qui se passe, on ne se l'explique pas, ce sont les captures accidentelles de mammifères marins avec certains types d'engins. Vous savez, le dauphin, ça ne se vend pas. Et même les marins aiment bien les dauphins. Nous on cherche du poisson, eux aussi cherchent du poisson et tous les deux, on est là pour se nourrir.
À combien vous estimez le manque à gagner pour les pêcheurs de ce mois sans pêche ?
C'est disparate. D'abord, ça concerne 600 bateaux sur la façade du golfe de Gascogne, il faut compter 60 000 euros, 70 000 euros même pour certains. Donc vous faites le compte, on arrive vite à des millions d'euros.
Cela fait 30% du chiffre d'affaires.
C'est tout à fait ça. Le souci, c'est que la pêche est une filière et le premier maillon de la filière, c'est la production, c’est-à-dire les pêcheurs. Derrière, on a tout ce qui est distribution, poissonnier. Tout le monde en profite, on va chercher son poisson et là, on met en péril cet équilibre.
Ce que vous dites, c'est que ce ne sont pas que les pêcheurs qui sont concernés par cette interdiction, mais tout un écosystème.
C'est tout un écosystème. Et malheureusement cette mesure, qui a été prise, a des conséquences, car ça fait suite à des quotas de pêche qui ont été calamiteux cette année, pour plein de raisons. Je ne m'appesantirai pas dessus, mais nous aussi on a subi le Covid-19. Il a fallu nourrir la population. Vous savez, quand le président de la République a dit "Nous sommes en guerre". Eh bien le lendemain matin, on nous a fait comprendre qu'il fallait aller pêcher. C'est normal, c'est notre métier, c'est notre vie. On n'avait pas d'assurance, on n'avait pas de masque. On a été pêcher, personne ne s'est posé de questions, on a alimenté. Après, on a eu la crise du gasoil...
Et aujourd'hui, vous réclamez de nouveau des aides de l'État, si vous avez 30 % de chiffre d'affaires en moins.
Mais dans cette filière, on passe son temps à mettre des rustines sur un pneu qui commence à être sur-rustiné. C'est de l'argent public. On est dans un contexte géopolitique qui est quand même très anxiogène et la filière pêche ne veut pas passer pour des assistés. Si on doit mettre de l'argent public pour trouver des solutions pérennes, pour éviter les captures accidentelles, bien évidemment, on est preneurs. Mais à condition que tout le monde en profite et que ces aides servent à quelque chose. Si ça doit être du palliatif, une fois de plus, et qu'on laisse tomber la filière pour faire venir d'autres poissons de Chine ou d'ailleurs. Dans ce cas-là, vaut mieux être franc.
Alors il n'y aura plus de poissons dans les criées. Est-ce que ça signifie que le prix du poisson va augmenter ?
C'est possible. Déjà, il va y avoir un manque d'approvisionnement suivant certaines espèces. La sole, par exemple, et le bar.
C'est déjà cher sur les étals. Le prix va augmenter ?
Ça peut augmenter très franchement. Déjà, le poisson, c'est devenu un produit cher quel que soit le poisson.
Alors, le Conseil d'État a été saisi par plusieurs associations. Cette mesure était quand même nécessaire. On a vu qu'il y avait eu un pic, 1 320 dauphins se sont échoués en 2023 sur les plages de l'Atlantique. Donc c'est une réalité.
Depuis cinq ans, on travaille pour trouver des mesures pour éviter autant que possible de capturer des mammifères marins. Si aujourd'hui, on est coincé pendant un mois le long du quai, ça veut dire qu'on n’a pas fait grand-chose. Il y a eu énormément d'argent public investi sur des systèmes de répulsions acoustiques sur les navires. Les bateaux étaient équipés, c'était ça le deal. Et je vous assure, ça n'a pas été facile. Les pêcheurs, ce sont des gens qui aiment être libres. Avoir des caméras qui les surveillent, avoir des systèmes de géolocalisation, avoir des observateurs embarqués. Ils l'ont accepté, de manière à acquérir de la connaissance, pour enfin essayer de trouver des moyens pour éviter les captures accidentelles. Là, tous les bateaux sont équipés. Ça a coûté un argent monstre et en fin de compte, on met les bateaux le long du quai. Tout ça par pure idéologie. C'est un gâchis.
Mais ces systèmes, ils peuvent être utilisés le reste de l'année.
J'insiste bien là-dessus. Toute cette filière est vraiment en danger d'extinction. C'est pas grave, on fera venir du poisson de Chine.
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