Notation de la dette de la France : "Concrètement pour nous, ça n'a pas beaucoup d'impact", selon un économiste de l'OFCE

Les deux agences de notations américaines annoncent vendredi si elles dégradent ou non la note de la dette souveraine de la France. Pour Xavier Timbeau, économiste et directeur de l'OFCE, une agence de notation "transcrit plus le consensus général, qu'elle n'apporte une véritable information."
Article rédigé par Camille Revel
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7 min
Xavier Timbeau le 26 avril 2024. (FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

Avec une dette qui dépasse les 3 000 milliards et un déficit à 5,5% du PIB en 2023, l'exécutif est suspendu au verdict des agences de notation. Fitch et Moody's annonceront vendredi 26 avril si elles dégradent ou non la note de la dette souveraine de la France. Pour Xavier Timbeau, économiste, directeur de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), il est difficile de dire si la note française sera dégradée ou non ce soir.

"Les agences de notation ne vont pas prendre le risque de porter un jugement très négatif, alors que tout le monde semble dire qu'il n'y a aucun problème aujourd'hui", déclare Xavier Timbeau, sur franceinfo, le vendredi 26 avril. "Après, la communication du gouvernement a été jugée assez peu claire, il n'a pas donné un sentiment de bien maîtriser sa stratégie budgétaire", concède l'économiste. Une chose est sûre, selon lui, elles "ne vont pas nous annoncer des choses qu'on ne sait pas déjà. En fait, tout est sur la table, tout est transparent".

franceinfo : Aujourd'hui, quelles sont les notes de la France et que disent-elles de notre pays et de sa situation ?

Xavier Timbeau : Chaque agence a son barème. Mais disons que la note de la France, elle est dans ce qu'on appelle le "high grade", ça veut dire très bonne qualité. Il y a un cran au-dessus qui est quand même le prime grade et ça, c'est le triple A. Et la France l'a perdu depuis quelque temps maintenant. Donc on est dans la zone "très bonne note", mais il y a mieux. Donc si vous voulez, c'est un 17 ou un 17,5/20.

Donc on est quand même sur de la très bonne note.

On est sur de la très bonne note, on est sur de la très bonne qualité. Et ça a quand même une importance, parce que ce que ça dit, c'est que si vous investissez dans la dette publique française, en fait vous achetez quelque chose de sûr. Donc, qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu'il n'y aura pas de défaut sur cette dette. Je rappelle que la dernière fois que la France a fait défaut sur sa dette, c'était en 1797. Donc ça remonte à quand même très très longtemps. Donc il n'y a pas de défaut, il n'y aura pas de défaut partiel et donc vous pouvez y mettre votre argent en toute confiance, même si la rémunération qui est associée est plutôt faible. Ça, c'est l'avantage d'avoir un titre de bonne qualité, c'est que ça ne coûte pas cher d'emprunter et ça ne rapporte pas beaucoup quand vous placez votre argent dessus.

Nous n'avons pas de boule de cristal, mais est-ce que ça veut dire qu'on peut s'attendre à ce que la note française ne soit pas dégradée ce soir ?

Alors, c'est difficile à dire. En plus, les agences entretiennent soigneusement de ce point de vue là leur communication. La notation des pays, il faut voir que pour ces agences de notation, c'est une sorte de vitrine et de moyen de faire parler d'eux. C'est fait gratuitement, donc personne ne paye pour ça. 

"Le boulot des agences de notation, c'est de noter tous les titres financiers dans le secteur privé, et là, c'est un moyen pour qu'on sache qu'elles existent."

Xavier Timbeau, économiste et directeur de l'OFCE

franceinfo

Et donc le plus on parle d'elles, plus contentes elles sont. Alors elles ne vont probablement pas dégrader la France parce que la France est dans une situation qui est plutôt solide. Les marchés financiers prêtent à la France à un taux qui n'a pas bougé malgré les mauvaises nouvelles économiques, les mauvaises nouvelles économiques. On pourrait dire oui, mais ça, ça doit forcément dégrader la note.

Parce qu'il y a eu la dette qui dépasse les 3 000 milliards, le déficit qui atteint 5,5% du PIB en 2023. Mais vous dites non, ça n'entraîne pas forcément de dégradation, ce n'est pas automatique.

Ce sont des mauvaises nouvelles. Mais la question, ce n'est pas de savoir quand il y a des mauvaises nouvelles, hop, ça se traduit par une dégradation de la note, c'est de savoir est-ce que ces mauvaises nouvelles induisent une augmentation du risque de défaut de la France ? Et là, c'est difficile d'avoir un raisonnement qui permettrait de justifier ça. Ça se voit en particulier parce que, sur les marchés financiers, les taux d'intérêt pratiqués pour la France, ne sont pas montés, l'écart avec l'Allemagne est faible. Et donc, les agences de notation ne vont pas prendre le risque de porter un jugement très négatif, alors que tout le monde semble dire qu'il n'y a aucun problème aujourd'hui.

Après, la communication du gouvernement a été jugée assez peu claire, il n'a pas donné un sentiment de bien maîtriser sa stratégie budgétaire. Le fait de ne pas respecter la procédure budgétaire en l'absence d'une loi de finances rectificative et le recours à des décrets pour refaire les fameux 10 milliards puis 20 milliards d'économies en 2024. Tout ça ce sont des éléments qui montrent qu'il y a un petit risque d'absence de consensus politique, et qu'il pourrait y avoir du coup une opposition, un vote de défiance ou aux prochaines élections, un changement de majorité. Ça, ce sont des facteurs d'instabilité que les agences de notation peuvent pondérer. 

"Donc, peut-être qu'elles vont avoir un jugement un tout petit peu négatif en ne changeons pas la note, mais en mettant une perspective négative sur cette note."

Xavier Timbeau, économiste et directeur de l'OFCE

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Quel impact ça a, concrètement pour nous ?

Concrètement, pour nous, ça n'a pas beaucoup d'impact. Il faut quand même en avoir conscience. En fait, les gens qui investissent, les investisseurs professionnels qui sont des grandes banques, des fonds de pension et qui disposent de portefeuilles de très grande taille, cherchent des actifs sûrs. Ils essayent d'acheter des titres de dette allemands et quand il n'y a pas de titres de dette allemands, ils achètent des titres de dette français. Et eux, ils s'informent, ils connaissent, ils suivent. L'analyse que fait l'agence de notation. Elle n'est pas très importante pour eux parce qu'en fait ils sont capables de faire leurs analyses eux-mêmes. Il y a beaucoup de matériaux gratuits disponibles partout.

Vous pouvez aussi aller interroger le gouvernement ou l'Agence France Trésor. Il y a beaucoup de communication qui est faite autour de ça. Donc en fait, l'agence de notation, elle n'apporte pas grand-chose à tout ça. Ce qui fait que quand elle dit quelque chose, elle transcrit plus le consensus général, qu'elle n'apporte une véritable information. Quand elle note des titres privés, Renault veut émettre de la dette par exemple, il va demander une notation à l'agence de notation. Elle est payée par Renault et elle va regarder en détail. Elle va faire des simulations, elle va regarder les aspects juridiques, elle va regarder les aspects économiques, elle va comparer avec d'autres entreprises. Il y a un vrai travail d'analyse qui est fait. Et ça, ce travail d'analyse, oui, peut changer les choses sur la situation de Renault. Mais pour un pays souverain...

Est-ce que les agences s'influencent les unes les autres ? Il y en a deux qui rendent leurs décisions ce soir, la troisième arrive un petit peu plus tard, fin mai, est-ce qu'on regarde ce que fait l'autre ?

Oui, bien sûr, elles se regardent les unes les autres. Il peut y avoir un petit jeu d'essayer de capter de la lumière entre elles. En même temps, derrière, il y a leur réputation de sérieux qui est engagée, donc elles ne peuvent pas non plus dire des choses qui sont trop dissonantes. Mais oui, il peut y avoir à un moment donné un mouvement qui se fait avec une agence qui va dire 'voilà, je vais sortir un peu du consensus et je vais dire ce que tout le monde pense, mais que personne ne dit'.

Donc ça peut avoir un petit effet cathartique en fait une agence de notation. Parce que c'est quand même, parmi les acteurs qui donnent leur avis sur ce sujet, un de ceux qui ont la plus de couverture médiatique et donc du coup, à cause de ça, ils ont un poids qui peut être important. Mais il ne faut vraiment pas en attendre une surprise, ils ne vont pas nous annoncer des choses qu'on ne sait pas déjà. En fait, tout est sur la table, tout est transparent.

Et une note reste une opinion.

Une note reste une opinion. Ça n'engage que cette agence de notation. Après, on sait quand même qu'une dégradation, si elle devait se produire, aurait un impact assez fort quand même dans le débat politique. En plus, dans une période préélectorale, on va bientôt avoir la campagne des européennes et là, peut-être que ça, ça peut être aussi un argument pour dire les agences vont être prudentes parce que derrière, il y a aussi leurs relations avec le gouvernement. Il y a la relation du gouvernement avec les investisseurs. Peut-être que dans une période électorale, on ne joue pas trop avec le feu. Mais bon, on verra.

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